Dimanche 22 mars 2020 – Puteaux
De ma fenêtre, c’est grand soleil. Il fait beau dehors. Installée sur mon canapé, je bois mon thé et j’attends que mon amoureux se réveille. Les bourgeons de mon orchidée s’apprêtent à éclore. La nature sait se montrer généreuse, de vie et de beauté. Un dimanche comme on les rêve.
Pourtant, aux dernières nouvelles, le monde va mal. Il ne fait pas pire d’être aujourd’hui plutôt qu’hier certes, mais l’air est anxiogène. Une angoisse nous guette voire nous atterre. Parfois, il fait dix degrés Celsius mais on annonce cinq de ressenti. A vrai dire, des morts, il y en a tous les jours, des humains qui meurent de la grippe, de cancer, de crises cardiaques et même de lassitude. Je lis que 160 000 personnes décèdent tous les jours, dont 25 000 de faim. Et pourtant, l’annonce des 800 morts du Coronavirus en Italie pour la seule journée d’hier me donne la chair de poule. Les courbes du nombre d’individus infectés et décédés en France suivent la même tendance que celles de l’Italie à quelques jours près. Pire que la prémonition, la tendance statistique. Morphée, Dieu des rêves prophétiques doit être effaré par de telles précisions.
Depuis quelques jours, je visite quotidiennement la page Statista pour suivre le nombre d’infectés et le nombre de mort par pays. Un autre site propose même une carte du monde noire, contexte oblige, avec des bulles rouges proportionnelles aux nombres de malades. Le virus se propage, il est en nous. Nous sommes les vecteurs de son déplacement et de sa transmission. Nous contribuons par nos trajets et nos rencontres à la contamination et aux décès de personnes âgées et des plus fragiles. Tragique. Depuis, le diagnostic est fait et l’ordonnance stipule le confinement de tous. un septième de la population mondiale assigné à domicile. Nous, moi, y compris.
Au Maroc, l’Etat se prépare au scénario catastrophe. Dès le septième cas identifié, le pays ferma toutes ses liaisons terrestres, maritimes et aériennes avec l’Espagne qui voyait alors sa courbe de contamination s’envoler. Dans les vingt-quatre heures qui suivirent, il coupa ses liaisons avec la France puis avec plus de vingt-et-un pays européens. Ecoles, restaurants et autres lieux de rencontres et de commerce considérés comme non essentiels fermèrent à leur tour. L’exact plan d’action mis en place par la France à son six millième cas et cent quarantième morts. Le Maroc sait que son système médical ne résisterait pas, le régime en place non plus. Des années que la santé est sur le banc de touche, soit on avait les moyens de payer les soins d’une clinique privée, soit l’on mourrait dans le couloir froid d’un hôpital publique dépourvu de moyens, de médecins et d’infirmiers. Nous remercions tout de même l’Etat marocain d’avoir fait preuve d’honnêteté et de ne pas avoir fait la politique de l’Autruche le jour de la vérité venue : « Rentrez Chez Vous, le système de santé est HS ». Nombreux ont approuvé le bon sens et respecté les ordres. D’autres, des jeunes brebis galeuses ont choisi de défier l’Etat d’urgence sanitaire et les officiels qu’elles méprisent pour manifester simultanément dans quatre villes du Royaume. Ils ont ainsi répondu à l’appel lancé par un charlatan salafiste pour invoquer en masse Dieu et son prophète et demander la rédemption. La fermeture des mosquées est semble-t-il mal passée. Qu’advienne que pourra, la France a Pasteur, eux ont Dieu. Après la santé, l’Etat avait aussi abandonné l’éducation au privé. Ses enfants le lui rendent bien. Pour voir le verre à moitié plein, disons que l’Etat a investi massivement, dans l’armée, la gendarmerie et la police. Ils répondent donc aujourd’hui présents et nous leur en sommes gré.
La France n’est pas en reste. Pays dit développé, sixième puissance mondiale, à laquelle il manque des respirateurs et des masques, à laquelle il manque surtout des hommes politiques à la hauteur qui aiment leur pays plus que les marchés financiers et les diners mondains. Philippe Juvin, chef de services des urgences qui semblait encore serein il y a quelques jours sur le plateau de C Dans L’Air sur France 5, explique au journal de 20H de TF1 le 19 mars exactement, que « la situation est absolument atterrante » et qu’il « ne comprend pas comment on a pu en arriver là. » Il s’étonnait qu’il n’y ait pas assez de masques pour les soignants. Il concluait ainsi que l’économie de santé française était une économie de pays sous développé. Une succession de gouvernements avec comme horizon indépassable les économies budgétaires ont mis à mal l’un des meilleurs systèmes de santé au monde. Des ingénieurs industriels comme moi, biberonnés au Lean Management, étaient dans les hôpitaux et dans les ministères pour identifier les économies, les stocks et les lits en trop, pour optimiser les processus et rendre l’hôpital efficient. Beaucoup d’incompétence et d’ignorance face au bon sens … Je me souviens encore de la grève des urgentistes il y a quelques mois. Personne ne les a écoutés. Serions-nous sourds ou cyniques? Ce n’est pas faute d’avoir crié au loup. Maintenant, nous les applaudissons car ils sont notre seul salut. Dans la fable de la Fontaine, la fourmi fait des provisions pour l’hiver pendant que la cigale chante. En France, les fourmis travaillent l’été pour que les hyènes chantent l’hiver. Les français, après avoir payé leurs impôts se retrouvent alors nus sans masque, ni respirateur …
Cette crise sanitaire révèle les failles de chaque pays. L’autoritarisme du parti communiste chinois qui a, les premières semaines, enfoui la tête dans le sable et coupé celles de médecins et autres lanceurs d’alerte, préférant un semblant de maîtrise à la vérité et qui laissa échapper notre seule chance d’endiguer ce virus à ses prémisses. La marche en avant vers le profit et le libéralisme effronté de la France, qui a eu tout le temps de prévoir et d’agir de façon proactive, grâce au cas chinois puis italien et qui n’a simplement rien fait. Un Etat Marocain enfin exemplaire car pétrifié par tout ce qui lui manque, ayant chanté des lendemains heureux quarante ans durant.
L’espèce humaine survivra au Coronavirus comme elle a survécu à la Peste, à la Grippe Espagnole, au SARS de 2003, aux famines et aux suicides. Nous sommes sept milliards, rappelons nous. Toutefois, il est dommage que les événements s’enchainent de la sorte, avec autant de cynisme et aussi peu de preuve d’humanisme et d’intelligence mise au service du collectif. Notre espèce ne mourra pas du Coronavirus mais elle disparaitra un jour. C’est un fait et nous ne serons pas là pour le vérifier. Entre temps, nous pouvons faire preuve de bon sens et d’empathie. Nous pourrions faire ensemble le choix de l’essentiel : de la santé et de l’éducation pour tous. Ce n’est pas et ce ne sera évidemment pas le choix de nos dirigeants et de nos élites ni maintenant, ni après la crise. Car après, ce sera l’euphorie de la relance économique et il nous faudra beaucoup de parfums pour oublier l’odeur de nos morts.
Pour ma part, après ces quelques mots, je reviens à ma vie de confinée bienheureuse, attendant qu’enfin mon orchidée m’offre le spectacle de ses délicates fleurs blanches.
Hajar El Hanafi,
Créatrice de Contre Temps et officiellement confinée chez moi depuis le 17 mars 2020