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Journal d’une confinée #3

Septembre 2019, je me décide désormais à marcher pour me rendre quotidiennement à mon travail. En empruntant une grande artère de la capitale économique, Casablanca, j’étouffe sous la pollution monstre. Personne ne portait de masques. J’étais pourtant persuadée qu’avec un minimum de sensibilisation, les Casablancais en porteraient. Je pense à lancer ma petite affaire en important des masques de Chine. Je me presse d’en parler à ma mère et à une amie qui ne trouvent guère l’idée géniale. Je n’ai pas eu l’audace de me lancer dans l’aventure et je le regrette amèrement. Je serai devenue riche ! Riche sans scrupules, alors bon, ça ne compte pas.

Ce confinement tombe à point ! En pleine crise existentielle depuis plusieurs mois déjà, mon esprit est constamment obnubilé par la raison de notre existence, la compréhension de nos actions en tant qu’êtres humains soi-disant dotés de conscience, la démystification de mère Nature et j’en passe. Mais comme le commun des mortels, mes neurones sont à présent détournés (pour une période indéfinie) à cogiter sur ce qui nous assomme aujourd’hui, ce satané virus Covid-19.

Évidemment, ma crise existentielle ne me lâche pas, bien au contraire, elle est décuplée mais parlons quelques instants des questions qui s’articulent sous le prisme de cette pandémie qui restera à jamais gravée dans notre mémoire collective.

Pendant ce confinement, je n’ai cessé de me glisser dans la peau des médecins et de m’imaginer des scénarii pour le moins paradoxaux. Aurais-je maximisé le nombre de vies sauvées ou le nombre d’années sauvées par exemple ? Autrement dit, si trois malades Covid19, deux âgés de 75 ans et une âgée de 16 ans venaient à se présenter en urgence et que je ne pouvais sauver que les deux personnes âgées ou la jeune fille de 16 ans, qu’aurais-je fait ?

Je vous fais abstraction des contraintes de ressources médicales et d’indice de gravité que je me suis fixés (nous sommes à court de médicament et étant donné la gravité de l’état de la jeune fille, cette dernière a besoin d’une double dose, comparé aux deux autres malades), je vous prie jouer le jeu.  

Notons que l’espérance de vie au Maroc s’élève à 77 ans. Si je sauve les deux personnes âgées, j’aurai sauvé 2 personnes et j’aurai fait (statistiquement) gagner un total de 4 ans de vie au compteur d’années de vie cumulées par l’humanité. A contrario, si je choisis de sauver la jeune fille, je ne sauve qu’une seule personne mais j’ajoute 61 ans à mon fameux compteur fictif ! De par mon esprit tourmenté et complexe, une cascade de questionnements s’enchaînent.

Qu’en est-il de la souffrance des proches des victimes ?  En sauvant deux personnes, la sommes des peines et des douleurs des proches est minimisée. En revanche, en termes d’apport futur à l’humanité, une jeune fille aurait-elle davantage à offrir à l’humanité ?

Ainsi, se succèdent des dizaines d’interpellations. Heureusement que je ne me suis pas lancée dans une modélisation rigoureuse de cette problématique, je ne serai pas sortie de l’auberge même d’ici la fin du confinement !

Je me suis également glissée dans la peau des chercheurs à réfléchir à tous les facteurs possibles et inimaginables qui conditionnent notre santé.

Ce sujet m’a d’ailleurs poussée à me renseigner sur l’état de l’art des recherches et je suis tombée sur des documentaires qui traitent de la thérapie génique et du protéome, sujets fort intéressants pour lesquels j’ai commencé à me passionner.

Ce confinement m’a décidemment ouvert les yeux sur ces métiers remarquables qu’exercent les médecins et les chercheurs et m’incite, plus que jamais à orienter mon métier de Data Scientist sur des sujets autour de la santé.

Si j’ai passé le tiers de mon temps libre à me pencher sur des questions scientifiques et économiques, j’ai passé un autre tiers à errer dans ma chambre et à regarder toutes sortes de vidéos sociétales et historiques (en essayant le plus possible de détourner les systèmes de recommandation des sites de partage de vidéos pour minimiser les biais).

Un simple clic « Play » et me voilà partie en voyage à travers le temps et l’espace. Un grand Merci Monsieur Charles Ginsburg pour cette invention capitale à notre évolution et développement. Ces mini-voyages me font sans cesse réfléchir, construire ou déconstruire certaines idées, découvrir de nouvelles cultures, des visions de la vie différentes et m’aident ainsi à accroître mon empathie et ma compréhension du monde.

L’écoute et l’empathie, deux qualités relationnelles que nous avons intérêt à aiguiser pour trouver un sens à sa vie ou simplement éviter les innombrables querelles futiles. Évidemment, l’être humain est, de par sa nature et son histoire, très complexe. Ces qualités ne sont donc pas la clé à tous nos malheurs mais je n’ai pas le moindre doute quant à leurs bienfaits et implications positives dans notre vie quotidienne.

Enfin, le dernier tiers de mon temps fût du pur bonheur partagé avec ma tendre mère. Depuis le temps que j’en rêve… En effet, je l’ai passé à regarder des films et des spectacles de sa génération et je peux vous assurer qu’ils étaient doués ces acteurs et comédiens d’une époque antérieure. Romy Schneider, Charlie Chaplin, Michel Leeb, Elie Kakou, Marlon Brando … Ces moments de partage avec nos êtres les plus chers n’ont incontestablement pas de prix et le confinement me les a offerts.

Vous auriez remarqué de manière très flagrante que l’écrasante majorité de mon temps libre porte sur de la visualisation de vidéos. Ni sport, ni peinture, ni piano… autant d’activités que je me promets de reprendre chaque lendemain depuis le début du confinement, en vain.

En ce qui me concerne, le confinement m’a été bénéfique à plusieurs égards mais il m’a également plongé dans une mélancolie et une paresse sans précédent. Il n’en demeure pas moins que le confinement m’a procuré du « vrai » temps libre et de ce fait m’a indéniablement rendue un peu plus mature, un poil plus calme et j’espère plus empathique.

Alors si vous vous cherchez ou que vous avez le mal de vivre, je conseillerai de prendre du « vrai » temps libre, vous ne le regretterez pas !

Sophia L.

Je suis Data Scientist, passionnée par les nouvelles technologies mais qui n’est pas moins intéressée par tous les sujets possibles et inimaginables (ou presque…). A ce stade de ma vie, ma personnalité est à l’image de mon amour tant pour les villes en pleine effervescence que pour la nature quasi déserte, l’entre deux ne me convient pas vraiment!