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Journal d’une confinée #3

Septembre 2019, je me décide désormais à marcher pour me rendre quotidiennement à mon travail. En empruntant une grande artère de la capitale économique, Casablanca, j’étouffe sous la pollution monstre. Personne ne portait de masques. J’étais pourtant persuadée qu’avec un minimum de sensibilisation, les Casablancais en porteraient. Je pense à lancer ma petite affaire en important des masques de Chine. Je me presse d’en parler à ma mère et à une amie qui ne trouvent guère l’idée géniale. Je n’ai pas eu l’audace de me lancer dans l’aventure et je le regrette amèrement. Je serai devenue riche ! Riche sans scrupules, alors bon, ça ne compte pas.

Ce confinement tombe à point ! En pleine crise existentielle depuis plusieurs mois déjà, mon esprit est constamment obnubilé par la raison de notre existence, la compréhension de nos actions en tant qu’êtres humains soi-disant dotés de conscience, la démystification de mère Nature et j’en passe. Mais comme le commun des mortels, mes neurones sont à présent détournés (pour une période indéfinie) à cogiter sur ce qui nous assomme aujourd’hui, ce satané virus Covid-19.

Évidemment, ma crise existentielle ne me lâche pas, bien au contraire, elle est décuplée mais parlons quelques instants des questions qui s’articulent sous le prisme de cette pandémie qui restera à jamais gravée dans notre mémoire collective.

Pendant ce confinement, je n’ai cessé de me glisser dans la peau des médecins et de m’imaginer des scénarii pour le moins paradoxaux. Aurais-je maximisé le nombre de vies sauvées ou le nombre d’années sauvées par exemple ? Autrement dit, si trois malades Covid19, deux âgés de 75 ans et une âgée de 16 ans venaient à se présenter en urgence et que je ne pouvais sauver que les deux personnes âgées ou la jeune fille de 16 ans, qu’aurais-je fait ?

Je vous fais abstraction des contraintes de ressources médicales et d’indice de gravité que je me suis fixés (nous sommes à court de médicament et étant donné la gravité de l’état de la jeune fille, cette dernière a besoin d’une double dose, comparé aux deux autres malades), je vous prie jouer le jeu.  

Notons que l’espérance de vie au Maroc s’élève à 77 ans. Si je sauve les deux personnes âgées, j’aurai sauvé 2 personnes et j’aurai fait (statistiquement) gagner un total de 4 ans de vie au compteur d’années de vie cumulées par l’humanité. A contrario, si je choisis de sauver la jeune fille, je ne sauve qu’une seule personne mais j’ajoute 61 ans à mon fameux compteur fictif ! De par mon esprit tourmenté et complexe, une cascade de questionnements s’enchaînent.

Qu’en est-il de la souffrance des proches des victimes ?  En sauvant deux personnes, la sommes des peines et des douleurs des proches est minimisée. En revanche, en termes d’apport futur à l’humanité, une jeune fille aurait-elle davantage à offrir à l’humanité ?

Ainsi, se succèdent des dizaines d’interpellations. Heureusement que je ne me suis pas lancée dans une modélisation rigoureuse de cette problématique, je ne serai pas sortie de l’auberge même d’ici la fin du confinement !

Je me suis également glissée dans la peau des chercheurs à réfléchir à tous les facteurs possibles et inimaginables qui conditionnent notre santé.

Ce sujet m’a d’ailleurs poussée à me renseigner sur l’état de l’art des recherches et je suis tombée sur des documentaires qui traitent de la thérapie génique et du protéome, sujets fort intéressants pour lesquels j’ai commencé à me passionner.

Ce confinement m’a décidemment ouvert les yeux sur ces métiers remarquables qu’exercent les médecins et les chercheurs et m’incite, plus que jamais à orienter mon métier de Data Scientist sur des sujets autour de la santé.

Si j’ai passé le tiers de mon temps libre à me pencher sur des questions scientifiques et économiques, j’ai passé un autre tiers à errer dans ma chambre et à regarder toutes sortes de vidéos sociétales et historiques (en essayant le plus possible de détourner les systèmes de recommandation des sites de partage de vidéos pour minimiser les biais).

Un simple clic « Play » et me voilà partie en voyage à travers le temps et l’espace. Un grand Merci Monsieur Charles Ginsburg pour cette invention capitale à notre évolution et développement. Ces mini-voyages me font sans cesse réfléchir, construire ou déconstruire certaines idées, découvrir de nouvelles cultures, des visions de la vie différentes et m’aident ainsi à accroître mon empathie et ma compréhension du monde.

L’écoute et l’empathie, deux qualités relationnelles que nous avons intérêt à aiguiser pour trouver un sens à sa vie ou simplement éviter les innombrables querelles futiles. Évidemment, l’être humain est, de par sa nature et son histoire, très complexe. Ces qualités ne sont donc pas la clé à tous nos malheurs mais je n’ai pas le moindre doute quant à leurs bienfaits et implications positives dans notre vie quotidienne.

Enfin, le dernier tiers de mon temps fût du pur bonheur partagé avec ma tendre mère. Depuis le temps que j’en rêve… En effet, je l’ai passé à regarder des films et des spectacles de sa génération et je peux vous assurer qu’ils étaient doués ces acteurs et comédiens d’une époque antérieure. Romy Schneider, Charlie Chaplin, Michel Leeb, Elie Kakou, Marlon Brando … Ces moments de partage avec nos êtres les plus chers n’ont incontestablement pas de prix et le confinement me les a offerts.

Vous auriez remarqué de manière très flagrante que l’écrasante majorité de mon temps libre porte sur de la visualisation de vidéos. Ni sport, ni peinture, ni piano… autant d’activités que je me promets de reprendre chaque lendemain depuis le début du confinement, en vain.

En ce qui me concerne, le confinement m’a été bénéfique à plusieurs égards mais il m’a également plongé dans une mélancolie et une paresse sans précédent. Il n’en demeure pas moins que le confinement m’a procuré du « vrai » temps libre et de ce fait m’a indéniablement rendue un peu plus mature, un poil plus calme et j’espère plus empathique.

Alors si vous vous cherchez ou que vous avez le mal de vivre, je conseillerai de prendre du « vrai » temps libre, vous ne le regretterez pas !

Sophia L.

Je suis Data Scientist, passionnée par les nouvelles technologies mais qui n’est pas moins intéressée par tous les sujets possibles et inimaginables (ou presque…). A ce stade de ma vie, ma personnalité est à l’image de mon amour tant pour les villes en pleine effervescence que pour la nature quasi déserte, l’entre deux ne me convient pas vraiment!

Journal d’une confinée #1

Dimanche 22 mars 2020 – Puteaux

De ma fenêtre, c’est grand soleil. Il fait beau dehors. Installée sur mon canapé, je bois mon thé et j’attends que mon amoureux se réveille. Les bourgeons de mon orchidée s’apprêtent à éclore. La nature sait se montrer généreuse, de vie et de beauté. Un dimanche comme on les rêve.

Pourtant, aux dernières nouvelles, le monde va mal. Il ne fait pas pire d’être aujourd’hui plutôt qu’hier certes, mais l’air est anxiogène. Une angoisse nous guette voire nous atterre. Parfois, il fait dix degrés Celsius mais on annonce cinq de ressenti. A vrai dire, des morts, il y en a tous les jours, des humains qui meurent de la grippe, de cancer, de crises cardiaques et même de lassitude. Je lis que 160 000 personnes décèdent tous les jours, dont 25 000 de faim. Et pourtant, l’annonce des 800 morts du Coronavirus en Italie pour la seule journée d’hier me donne la chair de poule. Les courbes du nombre d’individus infectés et décédés en France suivent la même tendance que celles de l’Italie à quelques jours près. Pire que la prémonition, la tendance statistique. Morphée, Dieu des rêves prophétiques doit être effaré par de telles précisions.

Depuis quelques jours, je visite quotidiennement la page Statista pour suivre le nombre d’infectés et le nombre de mort par pays. Un autre site propose même une carte du monde noire, contexte oblige, avec des bulles rouges proportionnelles aux nombres de malades. Le virus se propage, il est en nous. Nous sommes les vecteurs de son déplacement et de sa transmission. Nous contribuons par nos trajets et nos rencontres à la contamination et aux décès de personnes âgées et des plus fragiles. Tragique. Depuis, le diagnostic est fait et l’ordonnance stipule le confinement de tous. un septième de la population mondiale assigné à domicile. Nous, moi, y compris.

Au Maroc, l’Etat se prépare au scénario catastrophe. Dès le septième cas identifié, le pays ferma toutes ses liaisons terrestres, maritimes et aériennes avec l’Espagne qui voyait alors sa courbe de contamination s’envoler. Dans les vingt-quatre heures qui suivirent, il coupa ses liaisons avec la France puis avec plus de vingt-et-un pays européens. Ecoles, restaurants et autres lieux de rencontres et de commerce considérés comme non essentiels fermèrent à leur tour. L’exact plan d’action mis en place par la France à son six millième cas et cent quarantième morts. Le Maroc sait que son système médical ne résisterait pas, le régime en place non plus. Des années que la santé est sur le banc de touche, soit on avait les moyens de payer les soins d’une clinique privée, soit l’on mourrait dans le couloir froid d’un hôpital publique dépourvu de moyens, de médecins et d’infirmiers. Nous remercions tout de même l’Etat marocain d’avoir fait preuve d’honnêteté et de ne pas avoir fait la politique de l’Autruche le jour de la vérité venue : « Rentrez Chez Vous, le système de santé est HS ». Nombreux ont approuvé le bon sens et respecté les ordres. D’autres, des jeunes brebis galeuses ont choisi de défier l’Etat d’urgence sanitaire et les officiels qu’elles méprisent pour manifester simultanément dans quatre villes du Royaume. Ils ont ainsi répondu à l’appel lancé par un charlatan salafiste pour invoquer en masse Dieu et son prophète et demander la rédemption. La fermeture des mosquées est semble-t-il mal passée. Qu’advienne que pourra, la France a Pasteur, eux ont Dieu. Après la santé, l’Etat avait aussi abandonné l’éducation au privé. Ses enfants le lui rendent bien. Pour voir le verre à moitié plein, disons que l’Etat a investi massivement, dans l’armée, la gendarmerie et la police. Ils répondent donc aujourd’hui présents et nous leur en sommes gré.

La France n’est pas en reste. Pays dit développé, sixième puissance mondiale, à laquelle il manque des respirateurs et des masques, à laquelle il manque surtout des hommes politiques à la hauteur qui aiment leur pays plus que les marchés financiers et les diners mondains. Philippe Juvin, chef de services des urgences qui semblait encore serein il y a quelques jours sur le plateau de C Dans L’Air sur France 5, explique au journal de 20H de TF1 le 19 mars exactement, que « la situation est absolument atterrante » et qu’il « ne comprend pas comment on a pu en arriver là. » Il s’étonnait qu’il n’y ait pas assez de masques pour les soignants. Il concluait ainsi que l’économie de santé française était une économie de pays sous développé. Une succession de gouvernements avec comme horizon indépassable les économies budgétaires ont mis à mal l’un des meilleurs systèmes de santé au monde. Des ingénieurs industriels comme moi, biberonnés au Lean Management, étaient dans les hôpitaux et dans les ministères pour identifier les économies, les stocks et les lits en trop, pour optimiser les processus et rendre l’hôpital efficient. Beaucoup d’incompétence et d’ignorance face au bon sens … Je me souviens encore de la grève des urgentistes il y a quelques mois. Personne ne les a écoutés. Serions-nous sourds ou cyniques? Ce n’est pas faute d’avoir crié au loup. Maintenant, nous les applaudissons car ils sont notre seul salut. Dans la fable de la Fontaine, la fourmi fait des provisions pour l’hiver pendant que la cigale chante. En France, les fourmis travaillent l’été pour que les hyènes chantent l’hiver. Les français, après avoir payé leurs impôts se retrouvent alors nus sans masque, ni respirateur …

Cette crise sanitaire révèle les failles de chaque pays. L’autoritarisme du parti communiste chinois qui a, les premières semaines, enfoui la tête dans le sable et coupé celles de médecins et autres lanceurs d’alerte, préférant un semblant de maîtrise à la vérité et qui laissa échapper notre seule chance d’endiguer ce virus à ses prémisses. La marche en avant vers le profit et le libéralisme effronté de la France, qui a eu tout le temps de prévoir et d’agir de façon proactive, grâce au cas chinois puis italien et qui n’a simplement rien fait. Un Etat Marocain enfin exemplaire car pétrifié par tout ce qui lui manque, ayant chanté des lendemains heureux quarante ans durant.

L’espèce humaine survivra au Coronavirus comme elle a survécu à la Peste, à la Grippe Espagnole, au SARS de 2003, aux famines et aux suicides. Nous sommes sept milliards, rappelons nous. Toutefois, il est dommage que les événements s’enchainent de la sorte, avec autant de cynisme et aussi peu de preuve d’humanisme et d’intelligence mise au service du collectif. Notre espèce ne mourra pas du Coronavirus mais elle disparaitra un jour. C’est un fait et nous ne serons pas là pour le vérifier. Entre temps, nous pouvons faire preuve de bon sens et d’empathie. Nous pourrions faire ensemble le choix de l’essentiel : de la santé et de l’éducation pour tous. Ce n’est pas et ce ne sera évidemment pas le choix de nos dirigeants et de nos élites ni maintenant, ni après la crise. Car après, ce sera l’euphorie de la relance économique et il nous faudra beaucoup de parfums pour oublier l’odeur de nos morts.

Pour ma part, après ces quelques mots, je reviens à ma vie de confinée bienheureuse, attendant qu’enfin mon orchidée m’offre le spectacle de ses délicates fleurs blanches.

Hajar El Hanafi,

Créatrice de Contre Temps et officiellement confinée chez moi depuis le 17 mars 2020

Monde année zéro

2018, année de la remise à zéro des compteurs, de la reconstruction, de l’émergence du monde nouveau et de la relance des dés comme des chances. Peu de raisons me laissent présager une telle issue mais je préfère vous épargner mon pessimisme et répondre que je n’en sais strictement rien. A vingt-cinq ans, que puis-je vous apprendre que vous ne savez déjà? Rien. Et comme chantait l’autre, « Rien, c’est déjà beaucoup ».

Je voudrais partager avec vous, parce que je vous le dois, vous qui m’avez lue, qui m’avez donné le goût de l’écriture, qui avez nourri mes réflexions et que parfois j’ai attristé à dessin, l’enseignement que j’ai tiré de cette année enfin écoulée.

Certes, l’actualité m’a peinée. Non qu’elle soit plus grave que les précédentes années mais plutôt que je me sentis pour la première fois adulte et démunie, incapable de changer le cours tragique des événements. L’état de mon pays, que je résumerai par une misère économique et intellectuelle du peuple et de l’élite, m’a angoissée, et ce jusqu’au dernier jour. Aussi et je ne pouvais y échapper, j’ai pu souffrir des maladresses de ceux dont j’étais le plus proche.

Pourtant, je suis heureuse. Je le suis parce que j’ai beaucoup appris sur le comment des choses, du cosmos et de la vie. Je le suis ensuite parce que des artistes et des philosophes m’ont transportée le temps d’un disque, d’un roman, d’un film ou d’un essai dans un ailleurs que je ne soupçonnais pas et qu’au retour, j’étais changée. Je le suis enfin parce que j’ai été aimé par des êtres que je chéris sans mesure. Je décrirai ce bonheur comme une gratitude sincère d’être vivante sur Terre et d’appartenir à cet infini commun.

Ainsi, en 25 révolutions terrestres, j’en suis à la conclusion que seule une chose compte réellement dans la vie d’un homme : l’amour. S’aimer d’abord soi, aimer les autres ensuite et enfin aimer apprendre. Une vie menée ainsi ne garantit pas la plénitude comme un paradis appelé par d’autres Nirvana, mais assure certainement des instants d’extase, de jouissance et de bonheur fini. La vie ne pourrait dans ces conditions être vécue en vain et trouvera son sens dans ce qu’elle aura engrangé comme connaissances.

Pour bien finir l’année 2017 ou commencer 2018, j’aimerais finalement me rappeler qu’aujourd’hui, nous venons tous ensemble, embarqués sur le paquebot Terre, d’achever un tour complet autour du soleil et 365 tours sur nous-mêmes. Et ce n’est pas fini, car ensemble toujours et sans autre alternative que peut-être celle de devenir astronaute pour explorer l’univers, nous débutons un nouveau cycle fait de révolution, de saisons, de jours et de nuits. Dans de telles circonstances, une seule question me paraît pertinente : comment faire pour que le voyage se passe au mieux pour tous ?

Sur cette dernière interrogation, je vous embrasse tendrement et cette fois-ci, en particulier, je vous souhaite une bien heureuse année 2018.

Meilleurs vœux,
Hajar

Conte en post-scriptum

La Sultane des Royaumes Lubriques décida après des années de solitude à la tête des armées cupidonesques de se trouver un compagnon de marche vers les voûtes célestes. Ses soldats bâtèrent champs et villes à la recherche de l’heureux élu et posèrent en vain la même question à tous les valeureux en quête du cœur nanti: « Combien de révolution la Terre a-t-elle réalisée autour du Soleil? » Le futur Sultan devait prouver son esprit.

Beaucoup abandonnaient, certains tentaient leur chance et proposaient quelques chiffres extravagants, aucun ne trouvait. Il ne restait plus qu’un seul, retiré du monde, au sommet du mont le plus haut de la contrée. Aucun des soldats ne voulut faire le voyage que l’on affirmait des plus dangereux. La sultane exaspérée escalada elle-même cette montagne quand elle le vit : debout, admirant le coucher de soleil d’un jaune oranger qui redonnait tout son éclat au vert des arbres qui les saluaient par leur cime ; la lune, les étoiles et les lucioles se préparant à prendre le relais pour magnifier la nuit.

Depuis, dans la vallée, on contait la légende de cette sultane qui, éblouie par la vue, préféra répondre elle-même à sa question et éviter ainsi toute déception: « La Terre réalisa assez de révolution pour que je vous cherche et que vous me trouviez ». On ne la revit plus.

https://ladepeche.ma/monde-annee-zero/

Lettre à Maroc (ceci est un message d’amour)

SOCIÉTÉ – Depuis Paris, je pense à toi, tout haut, très fort. Les informations, les vidéos, les lives Facebook défilent et aucun ne me rassure. Nous bouillonnons tous de l’intérieur et de l’extérieur, à Marrakech et à Amsterdam, à Al Hoceima et à Errachidia. Rabat ne répond plus de rien. Casablanca travaille matin, midi et soir. Beaucoup ont peur de devenir le prochain Damas et beaucoup d’autres n’ont plus rien à perdre. Les problèmes s’accumulent, les crises empirent, la situation s’enlise. Et moi, j’ai mal pour nous, j’ai mal pour toi.

Il y a l’éducation qui souffre d’ignorance et les vidéos de lycéens violents ou aux propos incohérents qui pullulent sur YouTube. Il y a le chômage qui ne cesse de monter et nos jeunes qui font le mur ou le trottoir. Il y a le système de santé malade et la petite fille qui meurt faute d’hôpital. Il y a la recherche de la dignité perdue et les ethnicités et les communautarismes qui renaissent de leur cendre avec le souvenir d’un passé meurtri. Il y a le Sahara, sable mouvant dans lequel nous sommes pris depuis 1963. Il y a un makhzen coupable et corrompu mais fantôme, que tous sauront nommer mais dont personne ne pourrait reconnaître les visages. Il y a une justice injuste et des lois archaïques qui s’appliquent aux minorités et aux femmes, population majoritaire en terre de misogynie. Il y a une mémoire lobotomisée et une histoire tronquée, des peines et des chagrins inconsolables.

Nous avons eu cinq ans de répit pour faire changer les choses mais nous avons choisi d’hiberner en plein printemps sanguinaire. Les gouvernements continuent à signer des décrets et à appliquer des programmes mais serait-il trop tard? Les ruptures sont assurément trop profondes et nos référentiels aux uns et aux autres si différents.

Il y a les arabophones, les amazighs, les francophones, les anglophones, les hispanophones et puis beaucoup qui ne savent parler aucune langue. Il y a une religion que nous voulons imposer à tous dans sa forme la plus intolérante. Il y a une vie culturelle en déchéance. Il y a l’exploitation des plus faibles par les plus forts, des petites bonnes des campagnes par les familles casaouies. Il y a nos garçons qui regardent la Méditerranée avec envie. Ils meurent avalés par les vagues, sous-traités dans les champs espagnols ou sous effets de la drogue. Il y a ces adolescents qui se baladent dans les ruelles de Paris tels des Gavroches d’un autre temps, à la main, des mouchoirs imbibés de colle. Image si commune à Casablanca et si grave à Paris.

Enfin, il y a des gens comme moi, des MRE que j’appelle les exilés, apparemment chanceux. Nous devons refaire une vie loin des nôtres, s’intégrer et s’assimiler après avoir vécu un séisme identitaire irréconciliable.

Pourquoi, pourquoi, pourquoi? Je ne me lasserai jamais de poser cette question car sans pourquoi il n’y a pas de comment, car depuis que je suis loin de toi, je suis comme loin de moi.

En attendant de trouver les solutions à ces équations, je t’envoie mon amour et toute ma tendresse.

(« Il était une fois, toi et moi, n’oublie jamais ça »)

Lien vers l’article : http://www.huffpostmaghreb.com/hajar-el-hanafi/lettre-a-maroc-ceci-est-un-message-amour_b_16965774.html

Système éducatif marocain: doit-on continuer de désespérer?

ÉDUCATION – Nelson Mandela affirmait: « L’éducation est l’arme la plus puissante pour changer le monde ». Voilà pourquoi aujourd’hui l’accès à l’école est un enjeu politique de premier rang. Voilà pourquoi nos hommes politiques marocains ne savent qu’échouer sur ce plan. Voilà pourquoi notre corps éducatif ne sait que s’apitoyer sur son sort. Parce que d’aucun n’a l’ambition de changer le Maroc ni la face du monde.

J’écris après avoir visionné une vidéo que je décrirais comme choquante, celle de l’adolescente au visage porcelaine, du nord du Maroc, dénonçant l’état de délabrement dans lequel se trouve son école et l’inaction coupable des autorités locales et du Caid. Elle crie son désarroi face à l’injustice dont ses camarades et elle-même sont victimes et nous raconte comment deux élèves ont été piqués par des insectes venimeux et sauvés in-extremis par leurs maîtres. L’école est aussi filmée, un bâtiment où aucun de ceux qui liront cet article ne mettraient les pieds, ni pour s’abriter de la pluie et du vent glacial de la région, ni pour soulager leurs vessies puisque nous apprenons que les toilettes font grève.

Et l’ubuesque n’étant jamais très loin au Maroc, nous comprenons rapidement que l’école est implantée en plein milieu d’un champ d’éoliennes, ce qui empêche les élèves et leurs professeurs de s’entendre. Il y a de quoi s’interroger sur le bon sens de nos décideurs. En somme, bons points pour la COP22 et bonnet d’âne pour l’éducation !

Un ami à qui j’ai partagé cette vidéo se disait triste mais pas surpris. Il en a vu d’autres. Moi, j’étais en colère. En réalité, je me refuse à la tristesse, je me refuse à la résignation, je refuse de m’y habituer et je refuse de l’accepter comme une fatalité des Dieux. Cette jeune fille a droit à la meilleure éducation qui soit et il n’y a à cela aucun doute dans mon esprit.

Ceci m’interroge davantage sur ce qui nous lie, nous citoyens marocains. Reste-t-il le moindre soupçon de contrat social dans ce pays? Un contrat implicite qui définirait notre vie en communauté, sous le même drapeau. Un contrat où cette jeune fille accepte de se soumettre à l’ordre établi et en contrepartie, oui parce qu’il y a contrepartie à la soumission, l’État lui offre la sécurité, l’éducation et la santé. Si tel est le cas, si nous sommes encore en État de droit, elle devrait pouvoir espérer forcer à minima ses déterminismes physiques et sociaux pour devenir médecin, ingénieure, professeure ou danseuse. Elle devrait pouvoir lire Taha Hussein ou Voltaire et rire de Candide. Elle devrait pouvoir admirer un coucher de soleil tout en sachant qu’il s’agit là du spectacle mystique de l’étoile de notre système planétaire qui se consume. Il est là le droit universel à chérir, celui de la jouissance de la vie que seule la connaissance peut offrir. Lui refuser cela, c’est la condamner au temps mort et d’une certaine façon à une lente et douloureuse agonie. En sommes-nous vraiment arrivés là? Est-ce la nouvelle forme que nous donnons à la peine de mort? La peine capitale aux innocents?

Cette chute dans le néant nous la devons à nous-mêmes. Malala, 19 ans, prix Nobel de la paix en 2014, se battait contre les talibans, hommes des cavernes aux longues barbes. Notre Malala se bat contre notre bêtise, notre corruption et nos sourires de façade qui disent « tout va bien dans le meilleur des mondes » quand tout va mal. Un combat plus dangereux, car l’ennemi vit en chacun d’entre nous.

Au tout va bien dans le meilleur du monde, il faut opposer le réel: les témoignages et les statistiques. L’indicateur de développement humain de 2015 révélait des vérités sidérantes. Le Maroc se classe 149ème par son indice d’éducation. J’ai voulu challenger ce chiffre en comparant le Maroc avec d’autres pays que j’ai choisis soit parce qu’ils étaient du Maghreb, soit parce qu’ils connaissent une situation de guerre récente ou de graves tensions géopolitiques. J’ai donc pris, l’Afghanistan, l’Algérie, l’Egypte, la Libye, le Pakistan, la Palestine, la Syrie et la Tunisie. Sur les 9 pays, le Maroc est 7ème, devant le Pakistan et l’Afghanistan. La Palestine est 1ère dans ce classement réduit. De fait, je repose une question que j’ai soulevé dans un article précédent: sommes-nous en guerre? Serait-ce le moment de déclarer l’état d’urgence?

Finalement, cette jeune fille me fait penser que les mots des élites éduquées et dit-on éclairées, ne sont que coquilles vides et rhétoriques masturbatoires complètement détachées du réel. Faut-il enseigner en arabe ou en français? Faut-il encourager le public ou la privatisation de l’enseignement? Quel entrepreneur avec un minimum d’esprit et capable de calculer un ROI (retour sur investissement) irait ouvrir une école d’enseignement privé et en français dans les montagnes de l’Atlas? Je pense que notre Malala est plus pragmatique et ne se pose pas exactement ces mêmes questions. Elle souhaite d’abord comprendre pourquoi les toilettes sont insalubres.

Alors comme disait De Gaulle, « le dernier mot est-il dit? L’espérance doit-elle disparaître? La défaite est-elle définitive? Non! »

Je lance donc un appel à tous ceux qui ont le pouvoir et à ceux qui ne l’ont pas pour qu’ils le prennent. Que ceux qui ont un quelconque pouvoir le mettent au profit du combat de cette jeune fille et des autres. Ce combat est juste, ce combat est noble. Que les autres le prennent et fassent enfin preuve de courage parce qu’à ce jour cette vertu semble confisquée par les jeunes adolescentes.

Et pour la question: que pouvons-nous proposer? Je dirai d’abord des écoles construites ou rénovées jusque dans nos montagnes, l’apprentissage de l’écriture, de la lecture et du calcul, un déjeuner gratuit pour tous les écoliers et l’arrêt immédiat des brutalisations physiques faisant office depuis trop longtemps de pédagogie par les professeurs: quatre remèdes qui me semblent indispensables. Sachant que la liste exhaustive des propositions est certainement trop longue pour un article.

Résistons et nous serons victorieux.

Lien vers l’article : http://www.huffpostmaghreb.com/hajar-el-hanafi/systeme-educatif-marocain-doit-on-continuer-de-desesperer_b_15056440.html

Maroc, le gâchis

SOCIÉTÉ – Le 7 octobre 2016, Abdelilah Benkirane est reconduit au poste de chef de gouvernement du Maroc. Le PJD est le premier parti du pays. Le peuple a voté, soit 43% des 15 millions d’électeurs inscrits. La majorité ayant répondu à l’appel des urnes a dit son dernier mot. La démocratie a triomphé. Bien.

L’histoire pourrait se terminer ainsi, glorieuse. Malheureusement, l’enregistreur de l’histoire est allumé et il ne s’arrêtera pas. Je ne ferai pas la sociologie de ceux qui ont choisi Benkirane. Je n’ai ni les éléments pour le faire ni les compétences. Je donnerai par contre ma conviction de citoyenne sur ce que représente ce choix et sur ce que cela implique pour notre futur commun.
Je pense qu’un nouveau monde émerge. Il est fait de surperformance et de vitesse supersonique, d’ultra-connectivité et d’hyper-information, de surmédiatisation et de grands secrets, d’ultra-individualisme et de supers inégalités, de petits meurtres et de grandes guerres, de discours enflammés pour la paix et de recherche désespérée de dogme et de spiritualité.

Comme une publicité d’iPhone, ce monde a le don de paraître simple, sobre, efficace, beau et à notre portée, en somme, une reconstruction territoriale, sociale, politique et économique séduisante. Mais à regarder de plus près le spot télé, ce blanc, ce gris et cette simplicité de la langue sont effrayants de vide et angoissants par ce qu’ils ne disent pas: le monopole d’une entreprise, l’omerta d’un système technologique qui absorbe sans s’ouvrir et le prix requis pour rejoindre le club.

Il est question d’un monde user-friendly là où nous avons l’intuition et l’intelligence d’une réalité complexe. Nous voulons naïvement croire à la diversité dans un monde qu’on nous promet mondialisé, uni, sans frontières et à gouvernance institutionnelle et internationale. Nous rêvons d’un monde progressiste, là où les progressistes confondent progressisme et libéralisme et nous imposent prostitution des plus faibles, vente des heures de vie des moins riches et mise à disposition de la dernière part des cerveaux au marché squattant les écrans. À cela, la masse, la populace, le petit peuple, Le Peuple, les peuples répondent Trump, Duterte, Brexit, Poutine, les Mollahs… et Benkirane. Ils répondent non. Ils répondent cela suffit. Ils répondent sécurité, autorité, retrait, patience, souffrance dans la dignité et souffrance de tous. Ils répondent « Khli khlaya bkhlak ».

Une femme, à qui ma mère demande les raisons de son vote pour Benkirane, lui répond: parce qu’il nous fait rire. Rendons à César ce qui est à César. Benkirane est certainement le seul homme capable de parler aux Marocains. D’autres y arrivent aussi et ce sont effectivement les comiques. Benkirane et les hommes du rire ont compris toutes les contradictions de la société marocaine, cette société qui veut l’orient et l’occident, la vérité et le mensonge, le vin et le thé et qui veut avant tout la soumission et la liberté.

Pour la première fois, voici un homme politique qui dit je vous comprends, je vous accepte et puis surtout je souhaite toutes ces contradictions et je suis comme vous, je suis vous. Il réalise en cela la coupure avec l’élite qui peut avoir deux discours, je vous comprends, je vous accepte mais je ne vous ressemble pas ou plus radical, je vous comprends, je ne vous accepte pas et je vais vous arracher à ce que vous êtes.

Seulement, il ne faut pas s’y tromper. Benkirane est une conséquence, il n’est la cause de rien. Ceux qui votent pour lui aujourd’hui sont à l’image des politiques des 30, 40 ou 50 dernières années. À ce que je sache, Benkirane n’était alors pas au pouvoir. L’échec massif des élites marocaines n’a de mesure que l’état de délabrement du pays sur tous les pans de la société, l’éducation, la santé, la justice… Chaque pièce tombe en ruine, les murs les séparant s’effritent et notre jeunesse ne sait plus faire la différence entre l’école et la prison.

Néanmoins, ce que nous pouvons lui imputer, c’est bien le bilan de ces cinq dernières années: le statut-quo. En 2009, au classement de l’indicateur de développement humain, le Maroc était 130ème. En 2015, il était 126ème après la Palestine, avant l’Irak, l’Inde et plusieurs pays d’Afrique subsaharienne. Cet indicateur se calcule selon trois critères, le produit intérieur brut par habitant, l’espérance de vie à la naissance et le niveau d’éducation. Nous ne sommes que 33,9 millions, pas de quoi se comparer à l’Inde. Peut-être sommes-nous en guerre?

10 siècles d’indépendance, aucune guerre à notre actif, une culture gastronomique reconnue sur tous les continents, un art de vivre qu’on nous envie, de nos hammams à nos riads en passant par notre artisanat. Un peuple digne et pacifique ne mérite pas ce sort. J’aurai aimé entendre durant cette campagne les Marocains prendre la parole car eux seuls ont la solution. Elle est dans l’éducation, l’artisanat, le collaboratif, les ateliers coopératifs, les petites entreprises, la régionalisation et le retour du pouvoir aux campagnes, aux villages et aux villes. Casablanca et Rabat ne peuvent définitivement plus prétendre gouverner le pays. Aussi, la culture arabo-musulmane ne doit plus avoir le monopole des esprits, les cultures berbères, juive et romaine ont entièrement leur place. Toutes ces choses sont encore préservées par notre ADN et notre histoire. Il ne reste plus qu’à en faire une politique.

Je me souviens des paroles de Benkirane dégradantes pour les femmes au hammam. Au début, j’étais outrée qu’il insulte les femmes mais j’avais tort. La réelle insulte était pour les Marocains et pour notre culture ancestrale du hammam, qui est la seule agora autorisée et utilisée à bon escient au Maroc. Il n’y a rien de plus vrai et de plus sérieux que de se retrouver nue pour se laver avec d’autres femmes et de discuter de la recette du tajine aux coings, de l’éducation des enfants, de la délinquance croissante et des prochains votes régionaux.

Finalement, j’aurais aimé croire, croire en Benkirane, croire dans la politique mais je suis de la jeunesse désenchantée. Je suis de cette jeunesse qui voit le monde s’effondrer et Apple vendre toujours plus d’iPhones. Je suis de cette jeunesse qui a connu la crise de 2008, les pays arabes bombardés et le terrorisme en boucle sur Al Jazeera depuis 2001, l’échec des printemps arabes et la montée en puissance de l’islam politique. Je n’ai pour tout cela qu’un mot: quel gâchis.

Lien vers l’article : http://www.huffpostmaghreb.com/hajar-el-hanafi/maroc-le-gachis_b_12615872.html

Comment définir une économie durable ?

[Suite de « L’économie collaborative, meilleure solution pour une économie durable? »]

Nous ne sommes pas des commerçants, nous ne sommes pas des acheteurs ni des vendeurs. Nous ne sommes pas les acteurs d’un marché mondial de biens et de services. Nous sommes, comme l’énonce si bien Nicolas Hulot, « la partie consciente de la nature ». Nous sommes une espèce vivante capable de vivre son présent à l’éclairage de son passé et en prévision de son avenir. Nous sommes des êtres conscients et l’économie en est une incarnation, une représentation.

Je propose que l’on réfute l’idée d’une économie des faits, une science désincarnée et intrinsèquement juste. Dans la vie, tout est hypothèse. La science est une longue histoire d’hypothèses et de rectifications, elle est aussi la plus longue et la plus belle histoire de collaborations et de partage. Il n’y a pas un algorithme qui soit du fait d’un seul homme. Sans Pythagore et Pascal, Einstein ne peut être. Il doit en être de même de l’économie.

Une économie durable est une économie qui prend en considération les principes humains et humanistes et qui cherche à rectifier ses hypothèses avec comme visée principale, celle du bien commun. Visée qui ne peut s’atteindre que dans le long terme. Une économie durable est une économie du long terme et de la vision. Voyez-vous, la fusée est, il est vrai, le fruit de la guerre froide et de la course à l’armement mais je préfère m’en rappeler comme le drôle de rêve de Jules Verne, un écrivain visionnaire.

Une économie durable est celle de la diversité des solutions, du compromis et de la solidarité, aux antipodes du Trading Haute Fréquence. Le compromis et le consensus s’appliquent sur les solutions et jamais sur les valeurs ni sur la vision.

Enfin, l’économie durable doit servir l’idéal démocratique. Lorsqu’elle est l’alliée de dictatures ou de monarchies aux idéologies sectaires, lorsqu’elle est l’alliée des puissants et des oligarques, elle ne sert qu’elle-même, elle ne sert que ses indicateurs chiffrés. L’humain se retire, la machine prend le relais annonçant la défaite suprême de la pensée.

L’économie collaborative, meilleure solution pour une économie durable ? – Intro

On parle d’économie collaborative, du peer-to-peer ou du partage. Tous ces noms décrivent la même réalité, une nouvelle façon d’échanger l’information, les services et les biens. Elle repose sur l’idée que les individus méritent notre confiance et qu’il n’y a nul besoin d’institutions administratives ou politiques ni d’oligarchies industrielles pour nous dicter quoi, comment, où et quand échanger. Il y a le troc ou le don d’objets, de temps et de connaissances. Il y a aussi ce qu’on appelle les Entreprises Sociales et Solidaires, où le profit généré est mis à disposition d’un tiers bénéficiaire (employés, causes sociales ou environnementales, communautés sur internet…).

On entend par ci et là le chant révolutionnaire des communautés, mais les élites ne sont pas prêtes à perdre leur hégémonie et répondent férocement. A l’économie du partage se substituent de larges plateformes de commerce en ligne, la communauté laissant place aux groupes de consommateurs. Le peer-to-peer, lorsqu’il est mis sous tutelle du capitalisme libérale, bouleverse les statuts sociaux légiférés et créent de la précarité. Les individus travailleurs et créateurs de la valeur se retrouvent devant un vide juridique et législatif mettant en péril les acquis sociaux. Les élites reviennent alors sur des siècles de lutte et proposent le modèle précaire comme modèle social naturel répondant à une logique économique impérieuse et prétendument neutre, celle d’un libéralisme où le plus riche a tous les droits.

Il n’est pas extravagant de douter de la viabilité d’un tel système. Un jour la masse se retournera contre son élite et la violence d’une telle révolte dépassera certainement l’imaginable.

Il est urgent de créer une économie durable. Elle devra être démocratique donnant le pouvoir à la majorité et la retirant à l’élite, protégeant les minorités et libérant la création, la valeur et l’échange. Il est temps de s’interroger sur le sens que nous voulons donner à l’économie du partage : elle peut être l’alternative à ce que nous vivons aujourd’hui, un monde où la distribution des richesses n’a jamais été aussi inégale et où l’exploitation exponentielle des ressources nous pose la question écologique du point de non retour. Sinon elle sera la dernière terre sèche avant le grand déluge.

Pour un idéal français qui se soucie du réel

Ce texte est le résultat de ma participation au concours La Parole Aux Etudiants organisé par Le Cercle des Économistes.

http://lesrencontreseconomiques.fr/2016/resultats-de-lappel-a-idees-2016/

En 1989, le mur de Berlin s’effondre, avec lui l’URSS. L’idée d’un monde nouveau de liberté et d’innovations s’installe dans les esprits. Les progrès sociaux et technologiques donnent l’impression d’une corrélation intrinsèque. Le 11 septembre 2001 sonne le glas de ce rêve asymétrique et rappelle au monde les mondes divers, violents et parfois culturellement opposables qui le font et ont le pouvoir de le défaire. L’invasion de l’Irak en 2003 démarre l’aube de nos heures sombres. 500000 morts plus tard, la pelote moyen-orientale ne se démêle plus.

Aux temps moyen-âgeux de la guerre répond le temps supersonique de la nouvelle ère de l’information. En 1999, Google gère 3 millions de requêtes journalières contre 3 milliards aujourd’hui. En 2007, elle est rejointe par Facebook dans la course à la disruption des modes d’accès et d’échange de l’information. La même année, Lehman Brothers entraîne dans sa chute les marchés américains, puis européens et enfin mondiaux. Jamais les élites défaillantes n’ont été autant médiatisées et jamais les sentiments d’impunité et d’injustice n’ont été aussi partagés. Les sociétés sont à leur tour ébranlées. Là où nous avons espoir de pensées, nous retrouvons populisme, fait religieux, patriarcat et nihilisme publicitaire. Jeunes et moins jeunes, où qu’ils soient du monde moderne, sont las de réfléchir.

Voici l’épopée de l’époque contemporaine : révolution de l’information, avancées importantes des droits civiques et victoire de l’économie de marché. “Et maintenant on va où “? Nos interrogations défilent dans ma tête. Que va-t-il advenir de l’homme une fois l’automatisation du travail achevée ? Pensez-vous qu’il y ait choc de civilisations ? Ou bien sommes-nous seulement contraints de vivre sous violences terroristes ? Et surtout, que va-t-il advenir de la Femme, première victime de la précarité, du fait religieux et du populisme ?

Alors que pouvons-nous attendre de la France dans ce monde de turbulences ? Que doit-elle à son peuple ? Que doit-elle au reste du monde ? L’histoire et l’expérience de la vie montrent qu’il n’y a rien à attendre de personne, il y a à faire. Qu’avons-nous donc à proposer à la France ?

 

Douce France

J’ai eu la chance de rencontrer la France très jeune. J’avais huit ans, c’était au Maroc à l’école, j’ai appris ma première balade, Douce France. Ce n’était pas le pays de mon enfance mais celui de mes escapades. J’ai réussi quelques années plus tard, le test d’entrée en 6ème du lycée français de Casablanca. Ce fut absolument incroyable, cette impression chaque matin de traverser les frontières de l’espace, du temps et de l’esprit. Cosette, Meursault, Emma Bovary et Julien Sorel éveillent votre conscience sociale ; la Révolution Française, l’Humanisme du XVème siècle et les affreuses guerres -mondiales et de décolonisation- construisent votre engagement politique. Les philosophes des Lumières m’ont bouleversée, Jules Ferry m’a trahie et c’est comme cela que j’ai aimé la France passionnément, à la folie.

 

Bonjour Tristesse

Plus tard, pendant mes années préparatoires en France, j’ai découvert une France qui a peur. 2011, la crise bat son plein et personne n’est d’accord. Là-bas c’est quand même mieux qu’ici, ici c’est quand même meilleur que là-bas. Et avant alors ? Avant c’est tout de même moins bien qu’après, après c’est pire qu’avant ! J’ai entendu des débats stériles alors que de l’autre côté de la Méditerranée se jouait un certain avenir du monde. La France voulait croire après des siècles de voyages, de rencontres et de colonialisme, que tout cela ne la concernait pas. Le American Dream, certains le rêvaient en France. Résoudre les problèmes par les bombes paraissait une bonne solution. La Silicon Valley semblait aussi une curiosité imprévue, un miracle américain. Pourtant tout l’avait préparée, tout y avait contribué : les recherches scientifiques depuis l’antiquité, les courses à l’armement du XXème siècle, l’empire communiste chinois, l’Inde (nouveau bureau du monde), les inégalités résultant de la mondialisation, enfin l’explosion de l’exploitation des énergies fossiles arabes et des mines africaines… Au même moment, la France voulait croire que le réveil identitaire sauverait son honneur. Bonjour Tristesse. Je ne l’ai pas lu, mais je l’ai pensé fort.

 

Candide

Tout ne va pas bien dans le meilleur des mondes. Le World Happiness Report a livré il y a quelques jours son classement des pays les plus heureux. La France y est 32ème. Depuis le premier rapport en 2012, elle a perdu 9 places. Les pays qui la devancent sont occidentaux, avec des régimes démocratiques et économiquement stables et riches, mais pas forcément plus riches que la France, VIème puissance mondiale. Suffira-t-il de baisser la courbe du chômage pour retrouver le sourire? Mis à part celui du président, je n’en suis que peu sure. Est heureux celui qui réalise sa destinée.

La France, qu’est-ce que c’est ? C’est une histoire, liée à une première civilisation, celle du roi Clovis et de Sainte Geneviève, suivi des Lumières et de la Révolution Française, constituée par des Républiques, un empire colonial africain et des guerres violentes. C’est aussi un système de valeur qui tient au présent : Liberté, Egalité, Fraternité. Je rajouterai comme le fait toujours le philosophe Michel Onfray, Laïcité et Féminisme. Les pays nordiques trouvent leur bonheur dans le progressisme et le désengagement du monde. Les pays anglo-saxons l’entretiennent par l’impérialisme libéral. Et si la France décidait de réaliser son bonheur par le progressisme social et l’engagement pour et dans le monde(1). Candide s’échappe de la réalité brutale en se retirant dans son jardin, Voltaire fera de même en Suisse. Faut-il suivre l’exemple ? Je pense à mon séjour à Pondichéry, ancien comptoir français. Encore une fois, en m’y baladant, j’étais tombée en amour pour la France, celle qui sublime ce qu’elle n’est profondément pas. Cultiver son jardin et explorer puis célébrer des parcs floraux et des forêts luxuriantes loin de ses terres, c’est possible aussi, n’est-ce pas? La réalisation de sa destinée, Liberté, Egalité, Fraternité, Laïcité et Féminisme sera seule garante du bonheur de la France(2).

 

Ethique pour la visée d’une vie accomplie

La même étude sur le bonheur commandée par l’ONU indiquait des axes d’amélioration : l’éthique laïque et le développement durable.

Paul Ricoeur écrit dans Soi-même Comme Un Autre : “C’est donc par convention que je réserverai le terme d’éthique pour la visée d’une vie accomplie et celui de la morale pour l’articulation de cette visée dans des normes”. L’éthique est en réalité Révolution, elle agit comme coupure pour faire naître le nouveau monde, c’est ma théorie. Elle le fait par le questionnement continu et transdisciplinaire des problématiques posées à une société. Innovation et Révolution ne sont pas dans la découverte scientifique ou économique ni même dans la découverte intellectuelle, mais dans l’usage protecteur ET libérateur qu’il en est fait.

Entre Tu ne tueras point, tu prieras et Tu ne tueras point, tu achèteras, il y a une alternative : Tu ne tueras point, tu vivras. Vivre c’est faire l’expérience sensible de la vie sans oublier de la penser. Aujourd’hui, la politique est devenue communicante, le public, administratif et l’économie, ensemble de faits et se sont échappés à la pensée. La France que je connais, s’arrache de sa condition et tue le père. Elle coupe la tête du roi en 1793, se sépare définitivement du pape en 1905 et provoque la démission en 1969 de celui qui a sauvé son honneur en 1945. Je ne vois pas d’autre terre mieux préparée à l’éthique laïque, en fera-t-elle le pari ?(3).

Imaginons ensemble une France où des groupes d’employés ou de citoyens sont tirés au sort pour prendre les décisions impliquant le commun. Imaginons ensemble une France où des comités d’éthique indépendants, composés d’individus de parcours divers, nuancent les décisions de tel ou tel groupe industriel devant la loi et les médias. Enfin, imaginons ensemble une France où partout les philosophes animent chaque dimanche après-midi au sein d’une agora des débats économiques et sociétaux. Il s’agit de mettre à mal l’expertise au profit de la pensée transdisciplinaire et le schéma maître élève pour un partage horizontal et consensuel de l’information. En décentralisant les prises de décisions, en mettant à plat les systèmes hiérarchiques et faisant appel à l’intelligence collective et singulière, l’éthique laïque transformerait la société française pour une plus grande confiance dans les institutions et dans l’avenir. Ce serait l’occasion pour La France d’impulser une nouvelle ère européenne, celle des Lumières(4).

 

L’Origine du Monde

J’aime ce tableau de Courbet. J’aime ses formes généreuses, le sein timide, le pubis effronté, sa pilosité adulte assumée et le visage caché. C’est l’une des plus belles célébrations du plaisir. J’aime savoir qu’il est exposé dans la ville où j’habite, au musée d’Orsay à Paris. Je rejoins l’actrice iranienne Golshifteh Farahani quand elle explique que «Paris est le seul endroit de la planète où les femmes ne sont pas coupables.» Voici quelque chose de précieux à préserver.

Deux problématiques féministes majeures attirent mon attention : la précarité financière et la violence physique, toutes deux subies par les femmes. Les femmes sont de plus en plus éduquées et ont en moyenne un meilleur accès au monde du travail, seulement, elles sont toujours en première ligne dès qu’il y a une crise économique. La robotisation du travail n’arrange en rien leur situation. Les premiers emplois à disparaître sont administratifs, emplois essentiellement féminins. Enfin à la maison et rien qu’en France, les femmes travaillent 10 à 12h de plus que les hommes. Par ailleurs, l’ONU estime que, dans le monde, une femme sur cinq sera victime de viol ou de tentative de viol au cours de sa vie. Les viols et les attouchements sont subis très jeunes pour certaines, et plus tard pour d’autres, souvent infligés par le conjoint lui-même. Les femmes s’inquiètent de voyager seules par peur des prédateurs. Si ce n’était que cela… Les “Fantine” existent toujours, les “Cosette” aussi, en France et partout sur la planète. Nous sommes des lions et nous aurions pu être des manchots empereurs.

Liberty and Education are the girls best friends ! Et nous avons besoin de voix pour défendre cette vision sur la scène internationale. Une politique étrangère féministe à la suédoise serait très bienvenue. La France et la Suède construiraient le noyau dur de l’Europe féministe(5) et apporterait un meilleur équilibre des voix entre pro et anti-féministes dans le monde. On en est encore loin car cela nécessite une exemplarité interne tout aussi souhaitable mais qui suppose une large adhésion des politiques majoritairement masculins et plutôt insensibles à la douleur féminine.

 

Résidents de la République

Insensibles, ne le sommes-nous pas tous un peu ? Face aux drames des réfugiés syriens et des migrants économiques illégaux, face aux difficultés des plus pauvres en France, face au travail des enfants en Chine et à la mort des mineurs congolais pour la fabrique de nos smartphones… Résilience et épuissement de la compassion. Enfin, quelque chose me retourne l’estomac, les attentat de Paris. 130 morts plus tard, nous nous demandons ce qui s’est bien passé pour en arriver là. Malheur à nous !

“Aujourd’hui, nos regards sont suspendus

Nous Résidents de la République.“

Engagés plus haut pour l’éthique laïque, le féminisme et l’Europe des Lumières, il est le moment de penser l’économie. Le capitalisme c’est la séparation du travail et du capital. L’argent rapporte de l’argent à celui qui possède les moyens de production. L’humain chargé de tourner les machines est salarié. Le travail a donc pour finalité d’augmenter le profit. Le libéralisme économique suppose l’économie de marché, c’est à dire une régulation déterminée uniquement par l’offre et la demande. Le libéralisme politique prône pour sa part la liberté des individus et contraint le politique à ses fonctions régaliennes. Le cocktail entre capitalisme et libéralisme est détonnant. C’est la mondialisation. Les marchés internationaux sont ouverts, l’argent roi, les biens et les services circulent à tout va et les états sont hors jeu. La liberté de ceux qui possèdent le capital est décuplée. La question de savoir si le travail asservit ou libère l’homme, traitée en terminale en cours de philosophie, est obsolète. Le sujet aujourd’hui est principalement celui de la consommation. Tu ne tueras point, tu achèteras. C’est ce qui aboutit à la crise des subprimes en 2007. Je ne suis pas viscéralement anti-capitaliste ou anti-libérale. L’exemple chinois calme rapidement mes ardeurs et mes emportées lyriques pour une société égalitaire.  

D’autres voies sont par contre louables et méritent qu’on s’y intéresse. Je pense au Kerala, état indien à mille lieux de la réalité des états indiens du Nord. Je dis toujours que j’y ai vu Mowgli et le paradis. Avec 33 millions d’habitants, il réalise le meilleur IDH de l’Inde (équivalent du Bahrein 45ème au classement mondial). Pourtant, c’est l’état avec l’un des plus faibles PIB/habitant. Ils ont fait le pari de la santé, de l’éducation et de l’émancipation des femmes avant celui de la richesse économique. Et aujourd’hui, cela paie. 92% de la population est alphabète contre une moyenne de 50% dans le reste de l’Inde. C’est ce que j’appelle le développement durable. Depuis 30 ans, le parti communiste et le parti libéral s’alternent à chaque élection et dans la radicalité de leurs propositions, le peuple trouve son compte. Enfin, les économies collaboratives et solidaires, existent depuis toujours au Kerala sans nul besoin de révolution numérique. Seule ombre au tableau, un million d’entre eux ont immigré dans les pays du Golf et contribuent de l’ordre de 20% aux revenus de l’état en allant chercher le capital là où il s’accumule pour pouvoir enfin le re-distribuer. Il y a beaucoup à apprendre d’un état qui met l’homme au dessus des indicateurs financiers. La France est en proie à de profondes remises en question concernant son modèle social unique, encore faut-il analyser les bons indicateurs pour prendre les bonnes décisions. J’ai espoir que la société française s’engage pour la diversité des solutions et le développement durable(6).

 

J’ai espoir que la France lise le darwinisme social différemment des ultra-libéraux qui pensent que seuls les plus forts (riches) survivent. Les plus solidaires vivent mieux.

 

(i) 6 propositions pour un idéal français qui se soucie du réel.

 

Ecrire pour se créer liberté