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Créer la beauté qui fait avancer le monde

Les femmes et hommes Iraniens se sont soulevés encore une fois contre la République Islamique d’Iran. Ils mènent en ce moment la plus grande révolution féministe du XXIème siècle ainsi que la première révolution anticléricale du Moyen-Orient, et en cela c’est unique.

C’est une révolte de la rue et des universités mais c’est aussi une guerre des images. Des photographies et des vidéos inondent la toile et le régime assassin n’a pas encore réussi à construire le mur virtuel pour définitivement isoler son peuple. Les mondes libres reçoivent ces bouteilles jetées à la mer et ne savent qu’en faire. Je vois les femmes autour de moi continuer leur vie, les féministes partager un post ici et là mais je ne ressens aucun engouement, aucun désarroi, aucune solidarité, aucune volonté de changer les choses. La volonté qui est l’unique point de départ à tout changement non subi.

Je pense que cela vient d’un manque d’identification alors que la France subit des attentats depuis 2014 de groupes et d’individus avec la même idéologie. L’ancien président Hollande avait demandé au Monde sa solidarité et aux chefs d´état de marcher à ses côtés, main dans la main. Aujourd’hui, ce sont des millions d’Iraniennes et d’Iraniens qui lancent ce même appel. Le monde avait répondu présent, Google et de nombreuses autres entreprises avaient fait des dons à Charlie Hebdo, meurtri alors dans sa chair… Tout cela était bienvenu mais l’histoire ne peut pas s’arrêter là. La France, comme d’autres pays, devrait se montrer à la hauteur et la France ce n’est pas seulement son président, ceux sont ses associations féministes, ses journalistes, ses entreprises, ses citoyens…

Je ressens souvent de la colère envers cette idéologie anti-femme qui consume le monde. Je lisais hier que les talibans avaient interdit le lycée, les parcs et jardins, les bains publics et les salles de sport aux femmes. Tous ces lieux, toutes ces activités, étaient déjà ségrégués par sexe mais maintenant ils sont simplement interdits. Que reste-t-il à cette idéologie ? Faire de nous les femmes, des poules à pondre des humains. Je me croirais dans une vidéo de L214 qui dénonce un élevage des poules. Pas de lumière pour les humains de sexe féminin, pas de vitamine D, que des ténèbres et de l’obscurantisme, que de l’élevage intensif en cage sous les lumières blanches des néons froids. Je ne sais pas pour les autres femmes dans le monde, mais personnellement, à chaque fois qu’un pays discrimine les femmes par des lois rétrogrades inhumaines, je me sens touchée dans ma dignité de femme et d’humaine. Ils ont définitivement ma Haine. Qu’en est-il de vous qui me lisez ?

Que faire alors ? Bien sûr, les politiciens peuvent agir. Les ambassadeurs pourraient quitter le pays. Les chefs d’Etats des mondes libres pourraient accueillir officiellement les délégations des Iraniens réfugiés en Occident, comme l’a fait Macron ce matin, et qui faisait en passant amende honorable après avoir serré la main de Raissi en Septembre. Je pense néanmoins que d’autres ont aussi un rôle à jouer. Pendant que Coca-Cola choisit d’être le sponsor officiel de la coupe du Monde du Qatar, en faisant fi de la traite des êtres humains et du non-sens climatique – rien d’étonnant quand on voit leur produit -, L’Oréal ne pourrait-elle pas devenir le sponsor officiel de la Révolution Féministe Iranienne ?

Je regardais une vidéo qui me glaça le sang : un homme iranien qui invective une femme dévoilée. Il lui hurle dessus : « Ne t’avais-je pas averti de remettre ton hijab ? Attends ici la police arrive. On a tous vu ta beauté. Il suffit. On vomit, dégouté par ta beauté. ». A ce moment-là, tout s’est éclairci dans mon esprit. J’ai enfin compris pourquoi L’Oréal était créé en France, par un francais et pas au sein d’une autre civilisation, ailleurs dans le monde. J’ai compris pourquoi une telle industrie n’aurait pu émerger en Iran des mollahs par exemple. J’ai aussi compris pourquoi seul Francois Ier pouvait devenir mécène de Leonard de Vinci et acquérir la Joconde. Il y a un grand fossé, un abîme philosophique entre des groupes d’Hommes qui célèbrent la beauté et ceux qui la vomissent. Il y a une guerre d’idées et d’actions entre ceux qui veulent créer une beauté qui fasse avancer le monde et ceux qui veulent les ténèbres.

J’avais trouvé la nouvelle mission de L’Oréal pompeuse : Créer la beauté qui fait avancer le monde. J’avais tort. Elle prend tout son sens aujourd’hui. Encore faut-il que ceux qui l’ont pensée l’incarne. C’est applicable à nombre d’entreprises qui veulent donner du sens à leur action, à leur plan RSE. Un autre exemple avec Spotify dont la mission n’est autre que de Libérer le potentiel créatif humain. Quand on pense que les femmes iraniennes sont interdites de chanter en public, quand on pense à tous ces chanteurs emprisonnés, au rappeur condamné à mort, au Bella Ciao iranien qui nous a tous fait vibrer, Spotify serait complètement dans sa mission, aligné avec sa raison d’être, s’il devenait sponsor officiel de la Révolution Féministe d’Iran.

La plus grande des révolutions féministes et anticléricales est en cours. Serons-nous à la hauteur de cet événement historique majeur? Serons-nous solidaires? Saurons-nous agir?

Ma génération, entre colère et espoir

J’ai écrit quelques articles dans des blogs de médias web marocains, avant qu’ils ne ferment les uns après les autres. La logique du marché est implacable : peu de clics, peu de pub, trop peu de revenus, fermeture. Je m’y indignais des injustices qui gangrènent le pays et je me concentrais sur trois sujets qui me touchaient personnellement : l’inégalité homme-femme, le système d´instruction publique défaillant et l’intolérance religieuse. Trois thématiques fortement liées. La religion soumet la femme à l’ordre patriarcal, qui se retrouve alors démunie si elle n’a de surcroit pas accès à la connaissance. Les talibans ne s’y trompent pas quand ils interdisent l’instruction aux petites filles. A l’âge de onze ans, Malala en a fait son combat, poussée, accompagnée et soutenue par son père, quand ces mêmes talibans tentèrent de fermer les écoles dans sa région, au Pakistan. Elle le paya d’une balle dans la tête puis dût quitter son pays pour trouver refuge en Angleterre d’où elle continua sa lutte. Elle dira : « Je n’avais que deux options. La première était de me taire et attendre d’être tuée, la deuxième était de parler haut et fort et me faire tuer. J’ai choisi la seconde option.» Il y a définitivement un mystique du monde qui mérite célébration et poésie mais qui ne justifie aucune soumission au dogme.

Ma plume s’est particulièrement aiguisée à la suite d’un événement majeur : les attentats du 13 novembre qui avaient suivi ceux de Charlie Hebdo. Je vivais à l’époque à Paris dans le 12ème arrondissement rue de Bercy et travaillais dans le 11ème , rue de La Pierre Levée, à quelques pas du Bataclan. Je soupçonnais les mécanismes complexes qui avaient conduit à ce choc. Je suis de la génération du 11 septembre. J’avais alors dix ans, un âge auquel on initie sa propre chronologie de la grande Histoire. J’y ajoutais donc la guerre d’Afghanistan puis en 2003 celle d’Irak. S’ensuivra la crise financière de 2008 puis en 2011 les printemps arabes que j’espérais fleuris avant qu’ils n’aboutissent aux guerres du Yemen et de la Syrie. Pendant ces vingt années, nous avons aussi constaté l’enrichissement des pays du Golf par liasses de pétrodollars et leur propagande salafiste agressive sur les chaines numériques et plus tard sur internet. La jeunesse Arabe, qu’elle soit occidentalisée, nationaliste ou islamiste, a sa propre lecture de ces enchainements historiques, une injustice et un gâchis au goût amer. Je m’étonnais et je m’alarmais dès 2011 de voir les étudiants Français au sein de mon école se désintéresser de ce qui se produisait sur l’autre rive de la Méditerranée, ni concernés ni enthousiastes ni même inquiétés. Pourtant le monde est fait de vases communiquant, et nous préférons tous faire mine de l’oublier. Si la Méditerranée transporte les marchandises et les peuples, elle ne peut faire barrages aux conflits et aux guerres. Finalement, j’avais cette sensation d’une histoire sans fin, qui n’aboutissait à rien de juste ou de meilleur. Nous vivons aujourd’hui les répercussions de la guerre froide et des guerres de décolonisation, le résultat des coups d’états en Afrique, des assassinats de tiers-mondistes, de la guerre du Vietnam, du soutien de la CIA à Pinochet contre Allende, de Khomeyni qui trahit les communistes iraniens, de la première guerre du Golf, de la guerre en Yougoslavie et en Tchétchénie et de la chute du mur de Berlin.

Malgré cette lecture géopolitique et une certaine compréhension de la séquence, il m’était tout de même insoutenable de voir le pays des Lumières attaqué, sa paix mise en péril. Je n’avais rien compris, je n’avais pas saisi que la menace islamiste était déjà là, parmi nous en France. Je n’avais pas réalisé qu’une bombe lâchée en Libye ou en Syrie mettait Paris en avant du front. Je n’avais pas compris non plus à quel point les nouvelles générations Arabes et Africaines rejetaient l’Occident dont l’ancien colon Francais et l’accusaient de tous les maux. Je faisais une lecture subjective de l’histoire. Mon adoration pour la littérature française, son histoire et son peuple m’empêchait et m’empêche toujours de partager ce même sentiment. L’éducation de qualité que j’ai reçue au Lycée Français de Casablanca puis à l’INSA de Lyon me laisse reconnaissante même si cela ne m’empêche pas de critiquer un certain aveuglement français.

Je me souviens de l’avant-première parisienne de Demain, un documentaire écologique optimiste qui s’intéressait à des initiatives à impact positif, dans les domaines énergétiques, économiques, éducatifs… Le ministre des Affaires Étrangères Laurent Fabius était dans la salle. Ce devait être quelques jours avant les événements du Bataclan. J’étais restée sur ma faim, frustrée. Je pris alors le micro et posai ma question. Je mettais en doute la possibilité de penser la question écologique hors du contexte géopolitique. Je citais l’Arabie Saoudite qui se gavait de pétrodollars et polluait l’esprit de toute une jeunesse. Mélanie Laurent ne comprenait pas où je voulais en venir. Cyril Dion nuança sa réponse et le ministre s’apprêtait à partir. Comment parler écologie sans changer le paradigme occidental néo-libéral ? Sans revoir la liste des alliées ? Sans parler argent et besoins énergétiques ? Sans discuter de l’immigration et du développement de l’Afrique ? L’éolienne, à elle-seule, même soutenue par des monnaies locales ne suffira à rien. Le documentaire n’était pas mauvais mais j’attendais définitivement plus d’un film qui serait plus tard visionné à la COP 21, plusieurs fois à l’ONU et ailleurs. J’attendais beaucoup plus des décideurs et des intellectuels. Plus qu’une approche par initiative, je recherchais des raisonnements et des réponses systémiques avec une vision à long terme de la préservation de notre environnement, dans lequel je nous inclus, avec nos cultures et nos valeurs.

Mon esprit s’éclaira aussi sur la question féminine après une histoire personelle qui me permit de placer le curseur sur mes envies. Je recherchais depuis un partenaire qui me mette sur un pied d’égalité plutôt que sur un piédestal. Je ne voulais pas être ce lustre de salon que décrivait un ancien premier ministre marocain, ni cette chose précieuse à protéger ou ce corps maternel qui nourrit d’amour et de lait frais. Je voulais aimer et être aimée entièrement dans toute ma dimension humaine et citoyenne. Cet échec amoureux était la petite histoire qui m’éclairait sur la grande. Dans les sociétés patriarcales, les femmes n’étaient pas les seules victimes. Les hommes souffraient aussi de cette impératif à préserver les traditions et protéger les femmes d’elles-mêmes. La société entière empêche de tout son poids les réformes nécessaires. Les parents donnent du leste avant de tirer de nouveau sur la corde pour rappeler la jeune génération à l’ordre.  Les mères sont aux aguets. La liberté doit rester un fantasme.

Je décidais pour ma part de mettre tout cela derrière moi. D’abord, quand je rencontrais un francais qui m’inspirerait des poèmes heureux. Et ensuite quand je devenais française à mon tour, par une naturalisation plus que désirée. Je rangeais alors mes anciennes peines, mes frustrations et ma plume et j’embrassais mes nouveaux droits avec exaltation. Cependant, je ne savais pas à ce moment-là que jamais je ne trouverai une paix intérieure car ailleurs, je serai toujours considérée comme la moitié d’un homme. Aujourd’hui, quatre and plus tard, voilà que je jubile devant les vidéos de ces femmes iraniennes libres qui dansent et chantent courageusement, cheveux au vent dans les rues de Téhéran et que rien ne me rend plus heureuse. Et même si je crains pour leur vie, comme disait Churchill, je pense aussi que « Mieux vaut périr au combat que d’affronter le spectacle de l’outrage ».

À chaque soubresaut de l’histoire, ma colère se ranime et mon espoir se ravive par la puissance des femmes et hommes libres qui me rendent le monde plus beau et la vie digne d’être vécue. Ainsi va ma vie et peut-être la vôtre …

Femmes ! Vie ! Liberté !

Il y a trente ans, ma mère me donna la vie mais dût se résigner quand mon père choisit mon prénom. Je m’appellerais Hajar et c’est ainsi qu’il me transmettait son lègue, une ode à la liberté. Il me répétait dès mon plus jeune âge l’histoire de cette jeune esclave, mariée au roi et prophète Abraham avant d’être abandonnée dans le désert avec son nourrisson. Les musulmans se remémorent son calvaire à l’occasion de leur pèlerinage à la Mecque, lorsque désespérée elle recherchait de l’aide pour sauver son fils d’une mort certaine. Elle était esclave mais elle devint libre au moment même de sa répudiation. Nous pouvons naitre libre ou esclave, gagner notre liberté ou se la voir délivrer, ou encore accepter de porter des chaines et croire que c’est cela, la liberté.

Avec mes parents, nous mangions un couscous régulièrement à l’association Solidarité Féminine. Les mères célibataires et leurs enfants officiellement « bâtards » du royaume chérifien, y trouvaient un refuge et un travail. Elles étaient cuisinières et serveuses et nous offraient l’un des meilleurs couscous de Casablanca. Elles étaient fières et debout dans une société parfois si lâche. Madame Ech-Chenna, fondatrice de l’association, ainsi que ses nombreux bénévoles faisaient figure d’Ange Gabriel, s’opposant à l’injustice et se mettant du côté du plus faible. Au moment-même où j’écrivais ces lignes, j’apprenais que cette grande dame, lumière de notre siècle s’était éteinte et nous laissaient orphelines. Qui pour poursuivre son combat ? Qui pour mettre fin à ce traitement abjecte des mères célibataires et de leurs enfants ? Des écoles ou des hôpitaux porteraient-ils son nom ? Des lois, peut-être ?

Mon père ironisait. Tous ces croyants monothéistes célébrant avec ferveur des mères célibataires. Des féministes qui s’ignoraient. Deux femmes, Marie et Hajar, qui n’avaient craint personne, qui avaient tenu par conviction ou par instinct de survie et qui feraient la légende des hommes. Avec un tel prénom, mon père me donnait le La : Pour être femme, nul besoin d’homme. Tu seras libre ma fille. La liberté étant tout sauf légèreté. Elle incombe une responsabilité et est source de nombreuses déceptions et désillusions. Elle commence par le libre-arbitre et la volonté de questionner ce qui est établi. Elle s’exerce lorsque le non est exprimé. Antigone, l’héroïne grecque tragique par excellence s’exclamait : « Je crie non, rien que non, rien d’autre n’est utile. Non, seul suffit. ». La liberté se poursuit par la résistance. Le reste ne sont que péripéties et chutes dramatiques car il ne faut pas s’y méprendre, la fin est rarement heureuse.

Le libre-arbitre se construit parfois à l’école des tables et des crayons, souvent à l’école de la vie. Je me souviens d’un documentaire sublime « Iran, le chant de la bergère » où Firouzeh, femme de 82 ans, autonome et indépendante, nous racontait son attachement à ses vaches et comme elle refusait de rejoindre ses enfants à la ville. Elle préférait la vie solitaire dans ses pâturages à une mort entourée et puis elle jurait loyauté à ses vaches. Ce film était pour moi une leçon de liberté, d’humilité et d’amour. Pourtant, Firouzeh n’était jamais allée à l’école. Elle ne savait ni écrire ni lire mais elle en savait beaucoup sur la vie. Elle était analphabète et sage et j’apprenais d’elle bien plus que d’un quelconque philosophe illisible.

Le libre-arbitre exige un temps d’observation, de macération des valeurs transmises et de construction des convictions au contact du réel, des choix à faire. L’exercice de la liberté requiert de la prudence et de l’intelligence qui nécessite du silence et un pas de côté. Elle réclame de la sagesse quand on la croit l’apanage des jeunes et des esprits fougueux. L’absence de peur et leur certitude d’un succès proche et irréversible constituent certes un fort avantage concurrentiel.

Nous pouvons aussi délibérément choisir de ne pas exercer cette liberté, par peur des répercussions légales, pour ne pas blesser ou être rejeté, par facilité et confort ou parce que l’on juge l’enjeu faible. J’ai personnellement expérimenté chacun de ces cas et je revendique et défend le droit à la faiblesse.

D’autres femmes et hommes ne peuvent se permettre ce luxe et je souhaite les célébrer ici. Leur bravoure nous inspire et grandit l’humanité. Je les aime profondément et je crains pour chacun d’eux car leur vie compte et leur sang est une perte incommensurable pour les civilisations libres, partout, au-delà de toutes les frontières. A vous femmes et hommes iraniens aujourd’hui dans la rue, bravant l’obscurantisme, les mollahs assassins et les balles, je scande à mon tour : « Femmes ! Vie ! Liberté ! ».

Depuis Stockholm, terre du Nobel de la paix, de l’esprit de cohésion et de consensus, je souhaite faire ce pas de côté pour raconter mon expérience de la liberté et penser ce qu’elle pourrait signifier pour une femme de notre siècle. Je m’en vais me rappeler dans les articles à venir ces quelques femmes et hommes qui me donnent le goût de la liberté.

Découverte : Féminisme en Iran, Chahla Chafiq & Feminists in the City

J’ai assisté hier à une masterclass virtuelle d’une qualité rare sur le féminisme en Iran : l’histoire féministe de l’Iran empreinte de l’expérience personnelle de Chahla Chafiq, sociologue et auteure iranienne exilée en France.

Je vous fais ici une restitution assez personelle et qui ne se veut pas exhaustive mais qui, je l’espère, vous donnera envie d’en apprendre davantage sur Chahla Chafiq et ses travaux sur le féminisme et l’Iran d’une part et sur Feminists in The City, l’organisation qui anime ses masterclass féministes.

Chahla Chafiq commence donc par rappeler le caractère politique de la lutte féministe en démontrant un lien fort entre les systèmes autoritaires, le patriarcat et l’avilissement des femmes, l’islamisme n’étant qu’un système autoritaire parmi d’autres. J’avais d’ailleurs pu entrevoir ce lien dans un reportage relatant l’expérience d’assimilation des kurdes en Turquie. Une jeune femme kurde, témoin de cette époque, y racontait comment le pouvoir kémaliste avait donné le pouvoir aux hommes kurdes sur leur propre famille pour en faire des alliés du pouvoir autoritaire, contre leurs femmes et leurs filles. On perçoit le cheminement de sa réflexion qui présente une filiation entre le chef d’état et le chef de famille.

Un axe politique est ainsi rapidement défendu par les systèmes autoritaires : l’ordre est assuré par l’autorité et le patriarcat quand le désordre est le résultat du féminisme et de l’émancipation politique, sociale, culturelle et surtout sexuelle des femmes.

Elle a aussi rappelé qu’à l’époque de la Révolution Iranienne de 1979, elle se souciait peu des questions féministes considérant ces sujets comme périphériques et mêmes suspects tant ils étaient associés au pouvoir royal du Chah et à ses alliés occidentaux. Elle explique alors que le père du Chah avait permis le dévoilement des femmes mais qu’il avait pris soin d’effacer de l’histoire le combat préalable des féministes iraniennes. La réforme n’ayant pas été discuté au sein de la société et n’ayant pas été porté par la société civile, elle est devenue une réforme royaliste, prête à être abolie à la moindre révolution, ce qui s’est d’ailleurs passé dans les semaines après la Révolution et l’installation du régimes des Mollahs.

Elle défend, par ailleurs, l’idée que la démocratie appelle l’autonomie de la société et l’autonomie de l’individu qui ne sont possibles qu’avec leur libération du joug du Roi/Chef et du Dieu en politique. Elle introduit alors le concept de modernité mutilée pour définir les progrès partiels, les modernisations sociétales que l’on peut retrouver sous des régimes autoritaires.

Elle a mentionné quelques figures féministes depuis la dynastie des Kadjar à aujourd’hui. Elle nous a fait remarqué que les poétesses étaient en tout temps en Iran des ambassadrices et des icônes de la cause féministe. Elle a dit alors quelque chose qui m’a saisie parce que je le pensais mais sans pouvoir y poser les mots justes : « La poésie rivalise avec la religion ».

Elle a souhaité enfin rappeler le caractère universel du féminisme, bien au-delà des questions de féminisme Blanc, féminisme Noir, féminisme Néo-colonial, sans nier les particularités de chaque combat et le contexte social et politique de chaque pays.

Pour rappel, en Iran, les femmes valent la moitié de l’homme, en héritage, devant le juge s’il y a témoignage, si elle se font assassiner et que le meurtier est condamné à verser une somme d’argent à la famille, celui-ci paiera moitié moins que s’il avait tué un homme. L’âge du mariage est à 13 ans, sachant qu’il était à 9 ans il y a encore quelques années, légitimant donc la pédophilie. La femme étant considérée comme mentalement inférieure à l’homme, certains métiers lui sont interdits comme celui de juge. Il lui est aussi interdit de chanter en public. La liste des interdits est longue et fait mal à la tête et au coeur. Le voile n’est donc que le symbole affiché d’une discrimation mais n’en est en rien l’essentiel. Il est le gilet jaune du mouvement islamiste (n’y voyez aucun lien avec les idées des gilets jaunes).

Bravo à Feminists in the City ! A mes amies et amis féministes, je recommande !

Le problème au Maroc se résume en deux mots : être femme

Le 21 septembre 2017, à Genève, le Maroc a rejeté 53 des 244 recommandations du Conseil des droits de l’Homme à l’ONU, dont quatre à souligner au feutre rouge: l’abolition de la peine de mort, la décriminalisation de l’homosexualité, l’égalité entre hommes et femmes dans l’héritage et l’abolition de la criminalisation des mères célibataires ainsi que la reconnaissance complète de leurs enfants sans autre différenciation juridique.

Lien vers l’article : https://ladepeche.ma/legalite-en-heritage/

Lien vers l’article republié par Courrier International : https://www.courrierinternational.com/article/le-probleme-au-maroc-se-resume-en-deux-mots-etre-femme

 

À mon tour, je rejette cette politique et cette position d’un Maroc qui n’est pas le mien. Ce pays est celui de la tolérance et de l’intolérance, des doux progrès et des extrémismes violents.

 

Chaque nation a ses contradictions et chacun choisit son camp. Je choisis celui de l’autre Maroc, celui de la vie, de l’amour, de la femme, de la mère et de l’enfant. Les hommes n’ont que faire de mes applaudissements, ils ont pour eux le pouvoir, c’est bien assez.

 

Cette politique qui nous saigne à blanc, je la rejette par conviction, avec vigueur et constance. Je la rejette comme elle me rejette quand son non est aussi catégorique et agressif. Je lui réponds un non tout aussi tranché. Je le crie, je le murmure, je le passe comme un témoin et je l’écris. Oui, j’écris pour ma dignité bafouée. J’écris parce que sinon je coulerai avalée par l’océan, la mer et le désert qui nous encerclent, effaçant nos histoires et nos peines. J’écris parce qu’autrement je disparaîtrai happée par un trou noir, celui de la médiocrité offensive qui nous oppresse.

 

LIRE: Lettre à un jeune Marocain

 

Chacune de ces causes mérite des essais, des romans, des films, des lecteurs et des publics, des vies engagées à les défendre. Pour ma part, je suis complètement bouleversée par celles qui touchent aux femmes, pour des raisons personnelles évidentes. Elles me donnent à penser que le problème n’est pas d’être une femme libre, émancipée, mère et célibataire, femme qui travaille ou femme photographe, femme qui aime, femme seule, femme engagée ou complètement lunatique. En réalité, le problème au Maroc se résume en deux mots: être femme.

 

La taxe de la honte

La répartition inégale de l’héritage est symptomatique de la place qui lui est octroyée. Une fille hérite la moitié de son frère, une fille unique la moitié de la fortune de ses parents quand le fils unique prend tout. L’épouse vaut un huitième quand l’époux vaut un quart.

 

Pour une culture qui sacralise tant la famille et le modèle marital, il est étrange de voir le traitement réservé à l’épouse qui une fois veuve ne relève plus que de l’anecdote. Elle devient patrimoine. Au fils de prendre soin d’elle, comme il le ferait de la maison de plage.

 

La fille de laquelle les parents ont exigé autant d’esprit et encore plus d’honneur qu’à son frère n’est plus qu’une moitié d’homme. À son mari de la prendre en charge. Paieraient-elles la moitié de la TVA ou de la taxe sur les revenus? Monde cynique.

 

Plusieurs moyens légaux de contourner cette loi existent. Il est possible de mettre un bien au nom de ses enfants ou de faire des donations tout en jouissant de l’usufruit jusqu’à la mort du dernier parent. Cela demande un simple passage chez le notaire et le règlement d’une taxe. J’appelle cette taxe, la taxe de la honte. Rajouter à l’angoisse de la mort, celle de devoir réparer une loi discriminatoire est une honte. Faire payer à des parents une taxe pour avoir donné naissance à une fille est une obscénité.

 

Mon père en est le coupable et je ne le remercierai jamais assez pour son crime, m’avoir faite héritière du X de ma grand-mère. La filiation et la génétique sont des sujets passionnants, davantage quand l’État ne s’en mêle pas, pour faire d’une différence une inégalité. Aujourd’hui, la loi nous explique que le X donné par le père est un défaut, l’indicateur génétique d’une défaillance physique qui vaut à la femme de représenter la moitié d’un homme. C’est toujours surprenant de voir comment un état peut mettre ses concitoyens en situation de précarité et d’insécurité.

 

C’est aussi là un sujet intéressant à étudier, si l’on met de côté les histoires réelles et dramatiques qui en découlent. Car oui, nous avons tous en tête ces récits de pères trop jeunes pour mourir, n’ayant fait aucune de ces démarches et de charognards réclamant leurs dus à la veuve et aux orphelines. Ces appartements réquisitionnés et ces biens jamais partagés car il fût impossible de réunir toute la famille et de trouver un compromis. Nous les avons vus et entendus et nous avons fermé les yeux, bouché les oreilles et cousu la bouche.

 

Le bateau coule et l’équipage annonce: les hommes d’abord

L’explication devant l’ONU était toute trouvée: ce serait religieux. Je la réfute. Si la raison échappe à une décision et que seule la religion l’appuie, je suppose alors que ce n’est là que prétexte pour justifier l’injustifiable. D’autres expliquent que cette même loi apporta en son temps une correction à une inégalité qui était totale. Je dis à tous ceux-là, soyez-en à la hauteur et terminez ce qui a été commencé, c’est-à-dire la reconnaissance de l’égalité complète des hommes et des femmes.

 

Autrement, s’il s’agit de punir l’autre sexe d’un quelconque pêché, d’une pomme arrachée de l’arbre de la connaissance et mangée par Hawae et Adam, alors je le conteste. En tant que citoyenne de l’an 2017, je refuse de subir les préjudices d’un acte commis par une aïeule dont on m’attribue la filiation. Et quand bien même ce serait le cas et que son acte eut été un crime, quel pays de droit commun condamne pour l’éternité les descendants du coupable? Sommes-nous les acteurs d’une tragédie grecque? La fatalité des Dieux a-t-elle frappée nos esprits? Les oracles auraient-ils parlé? Ou sommes-nous dans un état de droit et de raison? Où sommes-nous?

 

Mon esprit rêvasse, fatigué, et divague sur un paquebot, le Titanic. Bien sûr, il y a Rose et Jack, ces visages angéliques mais pas moins suggestifs, qui condamnent l’amour romantique à la mort. Mais il y a aussi le bateau qui coule et le capitaine qui pose une règle, les femmes et les enfants d’abord, de la première classe certes mais ceci est un autre problème. Cela me fait penser que chez nous, le bateau coule et l’équipage annonce: les hommes d’abord.

 

Ad vitam eternam, les lois pourront être injustes, à la différence que cela se saura. Nous laisserons derrière nous, contrairement à nos grand-mères et arrières grand-mères et aux trente générations de femmes qui nous ont précédées, nos témoignages, nos colères écrites et les films de nos indignations et de nos combats. Nous mettrons sur papier les horreurs vécues par celles qui ne purent écrire leur vie, privées d’éducation. Nous écrirons ces histoires chuchotées par nos grand-parents et nos parents les nuits de veillée.

 

Nous sommes avec nos mères, les premières d’une lignée de femmes éduquées et c’est comme cela qu’une révolution lente et silencieuse a lieu, au Maroc et ailleurs au Maghreb et au Moyen-Orient. Les talibans ne s’y trompent pas en attaquant les écoles, frappant Malala d’une balle à la tête, car l’éducation des femmes est ce point de rupture qui consent au basculement de l’histoire.

 

L’arbre de la connaissance est dorénavant secoué tous les jours et les pommes qui en tombent sont mangées goulûment. Nous sommes assoiffées de lecture et d’écriture. Nous avons faim de mathématiques, de physique, de biologie, de médecine, de psychologie et de droit. Notre raison s’aiguise et nos désirs s’affichent. Un nouveau monde émerge et prend racine sur celui des hommes qui sans être rejeté sera transformé.

De fait, si cette loi et toutes les autres, ne sont pas abrogées aujourd’hui, sachez qu’elles le seront demain car nous veillerons à ce que nos filles et nos petites-filles aient notre parole gravée dans le marbre et tissée sur la toile, comme ces hiéroglyphes que ni le temps ni les défilés civilisationnels ne surent effacer.

En 2017, 52% des admis marocains au baccalauréat étaient des filles. Elles ont aussi dominé le classement des meilleurs résultats, malgré tous les indicateurs qui démontrent un accès à l’éducation plus difficile pour les filles que les garçons. Nos adolescentes font preuve d’abnégation et de détermination et gratifient leurs parents d’une grande fierté par leur réussite et leur intelligence. Ne méritent-elles pas mieux qu’un non catégorique à leurs droits devant le Conseil des droits de l’Homme de l’ONU? Ne méritent-elles que cette humiliation publique sur la scène internationale?

 

À ma grand-mère paternelle qui avait tant regrettée de n’être pas allée à l’école, à ma grand-mère maternelle qui reprocha toute sa vie à ses parents de l’avoir envoyée en ville loin des siens à ses cinq ans, à cette même grand-mère qui retira son niqab, fière et libre, à l’âge de trente-cinq ans, à ma mère et à mes tantes qui prirent le train de la modernité pour créer une réalité nouvelle dont nous jouissons aujourd’hui, aux hommes de ma famille qui veillèrent à corriger toutes ces inégalités indues, je dédie ce texte.

 

Enfin, à ma fille, à ma petite-fille, à mon fils et à mon petit-fils qui n’êtes pas encore de ce monde, je vous fais les héritiers de ce combat car comme dit Chateaubriand, la vie est un « funeste présent ». J’y ajoute que s’en montrer digne en est le fatal revers.

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Lettre à un jeune Marocain

“Un homme, ça s’empêche.”, une phrase lourde de sens que nous devons au père d’Albert Camus. Elle nous questionne sur les notions de responsabilité et met à mal nos pulsions de mort, de sexe et de possession. Je peux, mais je dois me retenir si cela fait mal à l’autre. Voyez-vous, la philosophie est une discipline de tous les jours, que l’on exerce à chaque nouvelle situation pour remettre en question nos valeurs et se forger des convictions réfléchies et non héritées d’un temps révolu. Mais voilà une discipline qui n’a plus sa place dans notre pays depuis bien des années maintenant. L’origine du mal est là.

De quoi parle-t-on exactement ? La scène se déroule dans un bus de Casablanca en pleine journée. Les personnages, six adolescents entre 15 et 17 ans et une jeune femme de 24 ans, handicapée mentale. Non, ce n’est pas une sortie de classe, ce n’est pas non plus un gang bang. Il s’agit plutôt d’un film d’horreur. Ils descendent son débardeur, pelotent ses seins, les tètent. L’un retire son t-shirt. Il faut l’émoustiller, une sorte de parade amoureuse vite fait, bien fait. Un autre s’agrippe à elle, par derrière, frottant son pénis à ses fesses. Ils rient, ils blaguent. C’est hilarant. Elle crie, supplie, se débat et continue de marcher vers l’avant du bus, ce que lui dicte son instinct de survie. Personne ne s’interpose. Ou plutôt si, mais en voix off. La voix d’un jeune garçon qui n’apparait pas mais que l’on entend implorer les chasseurs de laisser la biche en vie. C’est cette petite voix d’un gamin qui sans lire Camus, fait preuve d’empathie et de philosophie car même dans les films les plus gores, il nous faut cette petite voix qui rassure avant l’apparition du monstre. Bouh ! Pas d’adulte ? Si, un seul, disons sain d’esprit, le conducteur du bus. La compagnie assurera que rien ne prouve qu’il ne l’ait pas défendu. Vrai. Et puis comment peut-il entendre les hurlements d’une femme dans le brouhaha d’une mégalopole comme Casablanca ? Ce qui est sûr, en tout cas, c’est qu’il n’appellera pas la police. Action.

Des viols, il y en a tous les jours, partout dans le monde. On viole des femmes, des enfants, garçon et fille, des hommes aussi. En France, 98% des viols sont commis par des hommes et 93% des victimes sont des femmes. Je n’ai pas trouvé de chiffres concernant le Maroc. À vrai dire, les pays où l’on note le plus de cas de viols sont paradoxalement les pays où la femme est la plus libre : la Suède, l’Allemagne, la France, le Canada, … Mais ne vous y trompez pas, ce sont là les pays où il est légitime et encouragé de se plaindre à la police. Où la caresse de votre cuisse est considérée comme une agression sexuelle, le refus de porter un préservatif aussi. Le Maroc, longtemps loin de ces questions, protégé par le silence de ses femmes, n’a pas vu venir la révolution digitale et technologique des réseaux sociaux et de la caméra intégrée au smartphone.

Qui est coupable ? D’abord, ces jeunes garçons. Qui est la victime ? La jeune fille. C’est un éclaircissement en réponse aux quelques appels sur les réseaux sociaux à la condamnation de la jeune femme. Je cite : « Au contraire, je pense que c la fille qui devrais être présenter en justice vu ce qu’elle porte comme vêtement de provocatrice et la question qui se pose que fait-elle avec un groupe de garçons derrière un bus. », Art Director Marocain. Cela me rappelle que deux semaines en arrière, j’étais pour la première fois, sur une plage à Barcelone. Des femmes de 35 ans, 40 ans peut-être, nageaient avec leurs enfants, des garçons entre 6 et 9 ans. Elles jouaient avec eux, les portaient sur leur dos, tous riaient aux éclats et semblaient heureux. Cette image m’a marquée car arabe que je suis, j’ai remarqué qu’elles ne portaient que le bas de maillot. Je voyais ces poitrines à l’air et j’attendais une réaction violente. Rien. J’ai trouvé cette scène si belle, pleine de tendresse et de vérité, la vérité des corps nus. Les hommes étaient sur la plage à bronzer. Je n’en ai vu aucun aborder une seule de ses femmes, ni même une autre plus jeune. Je n’ai entendu aucune insulte, je n’ai vu que bienveillance et respect des femmes, des mères et des enfants. Le mot est dit, j’ai vu plus de respect sur cette plage de Barcelone, que je n’en ai vu de toute ma vie au Maroc.

D’autres coupables ? Ces jeunes sont mineurs. Nous sommes donc en droit de se poser cette question. Bien sûr, les parents ont toute la responsabilité de ce que font leurs enfants. Faire des bébés est une lourde responsabilité qui n’est pas à négliger parce qu’alors les enfants des autres en sont les premières victimes. Pendant que la police arrêtait les suspects, la presse demanda aux voisins de réagir. Dédouanant les adolescents, ils voyaient comme principales causes de ce crime, le chaos familial dans lequel ils ont grandi, ainsi que leur consommation quotidienne de psychotropes. Essayons d’avoir une vue macroscopique des analyses du voisinage. Nous sommes des bonnets d’ânes en éducation dans tous les classements mondiaux sur le sujet. Nous sommes, selon les dire de notre ministre de la santé, près de 50% à souffrir de maladies psychiques dans un contexte d’absence totale de psychiatres. D’après la CIA, le trafic de drogue représenterait 23% de notre PIB alors qu’il ne représente pour le même chiffre d’affaires que 3% du PIB mexicain que l’on considère comme un pays sous grande tension des narco-trafiquants. Nos jeunes sont drogués quand ils ne sont pas eux-mêmes des vendeurs de stupéfiants. Bien sûr, il ne faut pas oublier le quatrième facteur, qui est celui d’une religion portée à son extrême rétrograde, conservateur et conquérant, wahhabite. Faut-il rappeler que les marocains étaient entre 2015 et 2016 la deuxième nationalité à commettre des attentats suicide au nom de Daesh. Avec les derniers événements de 2017, je pense que nous pourrons prétendre à la première place. Alors, une fois ce constat fait, comment pouvons-nous penser que les femmes pourront se libérer du patriarcat pour vivre en paix les seins nus sur les plages publiques de Dakhla. Si ce n’est l’ignorant, ce sera le fou, si ce n’est le fou, ce sera le drogué, si ce n’est le drogué, ce sera l’extrémiste religieux qui la violera. Ou peut-être les quatre fantastiques incarnés en un seul homme.

Pour ceux qui lisent cet article, je vous prie de m’excuser. Je vous prie de m’excuser de partager avec vous de tels atrocités. De penser notre présent en noir. Mais comme dit mon père, être une femme est un malheur. À s’acharner sur les femmes, notre pays et le monde avec, se prive de ce qu’il y a de plus beau, la sensualité des corps féminins et la tendresse de leur être.

Rappelez-vous que la vie est seule sacrée et que ce qui donne cette vie, ce n’est pas la côte d’Adam mais le vagin de Mahjouba et ce qui la nourrit une fois au monde, ce sont les seins de Jamila. Alors, s’il y a un corps à respecter, c’est bien celui de Saida. Pour ce faire, un homme ça s’empêche.

Mon amitié et ma tendresse,

Hajar

Image : copyright Sami Ameur

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A la femme libre enfouie en toi, j’écris

SOCIÉTÉ – « Les droits de l’homme sont les droits de la femme et les droits de la femme sont les droits de l’homme ». C’est ce que déclarait, en 1995, à la 4ème conférence mondiale sur les femmes, Hillary Clinton, aujourd’hui, première femme candidate à la présidence américaine. À la lecture du dernier rapport du Forum Économique Mondial de Davos sur l’égalité hommes-femmes, je ne pouvais m’empêcher de penser à son discours, tant ce que je voyais m’inquiétait: le Maroc se classe 139 ème sur les 145 pays évalués par le Global Gender Gap Report de novembre 2015.

L’index se mesure par le calcul de quatre indicateurs évaluant l’égalité entre les sexes en termes de participation à l’économie, d’éducation, de santé, et de pouvoir politique. En participation économique, le Maroc est 140ème juste derrière l’Arabie Saoudite et l’Inde. Concernant l’éducation, le Maroc est 123ème après le Bhutan et le Népal. Le classement sur la santé positionne le Maroc à la 95ème place derrière le Népal et le Bangladesh. Enfin, en pouvoir politique, le Maroc est 95ème , le Ghana et le Malawi se plaçant juste devant.

Derrière le Maroc, nous retrouvons 6 pays, la Jordanie, l’Iran, le Tchad, la Syrie, le Pakistan et le Yémen. Leurs points communs? Des conflits armés internes ou élargis à leur région, des régimes politiques autoritaires et instables et un islam fondamentaliste en expansion. Intuitivement et au vu de mon expérience personnelle, je n’ai jamais pensé que le Maroc partageait ces mêmes symptômes, ou du moins, à des degrés largement inférieurs. Pourtant, il souffre du même mal. Les chiffres nous racontent une vérité, il reste à nous de l’entendre.

Pour ma part, ce que j’entends me fait mal. J’ai mal à mon cœur et j’ai mal pour mon pays. Mes parents m’ont appris les valeurs du travail et de l’excellence. Je n’ai jamais eu d’autre choix que d’être première avec les premiers. Autrement, je devais rendre des comptes. Ma génération hérite d’un bilan douloureux et nos hommes politiques, sur les 30 dernières années, ont des comptes à nous rendre.

Nous concernant, il est venu le temps de l’action. Il est venu le temps de se retrousser les manches et d’exiger nos droits. Il est venu le temps que nos intellectuels s’interrogent sur leur pouvoir réel et qu’ils donnent à nos filles l’espoir réaliste d’un Maroc progressiste. Tant que nos filles seront considérées comme des moitiés de garçons, nous resterons un trois-quarts de société. Je suis convaincue que nous pouvons le faire et que notre place n’est pas avec les 6 pays qui ferment le classement.

Nous avons pour nous, notre indépendance maintenue sur plus de dix siècles, notre propre interprétation de la religion musulmane, notre relation fraternelle avec les pays occidentaux, nos langues et notre diversité culturelle, berbère, arabe et francophone. Nous avons les moyens de comprendre et d’expliquer la nécessité de l’égalité hommes-femmes et l’importance de la dignité féminine. Rien ni personne ne devrait nous en faire douter.

L’État, d’une part, et les intellectuels de l’autre, ont le devoir historique de renverser la balance et de mettre le citoyen, et dans ce cas la citoyenne, au centre de leurs débats et de leurs actions comme prononcé au dernier discours de sa majesté le roi Mohammed VI. Il est de leur devoir de prendre les bonnes décisions et de mettre la misogynie ambiante et les discours démagogiques au placard. Il est à eux, et maintenant à nous, à ma génération, de convaincre les conservateurs de la nécessité de l’action pour le bien de notre pays. Sinon, il faudra les vaincre en usant de toutes les voies et voix démocratiques.

Je vois venir les pessimistes, ceux qui diront qu’un critère a été oublié dans cette analyse, celui des moyens. Le classement y répond fabuleusement. Les pays les mieux classés ne sont pas les plus riches, ce sont ceux qui mettent le sujet à la première ligne de leur agenda politique. Au plus haut du classement, avec le Danemark, l’Islande et la France, on retrouve le Rwanda, à la 6ème position, les Philippines, à la 7ème position, le Nicaragua à la 12ème position, et la Namibie et l’Afrique du Sud qui sont, devant la Belgique, respectivement à la 16ème et 17ème places.

Ce sont là des pays du tiers-monde et ils sont la preuve que nous pouvons faire mieux. L’égalité homme-femme pose la question de l’intelligence, du pragmatisme et de l’efficacité politique. Il est par ailleurs indispensable de se rappeler qu’au-delà de ces chiffres, il y a des femmes et des histoires. Je pense à toutes ces femmes dans nos campagnes, qui étaient nos grand-mères pour beaucoup et qui sont les oubliés de notre société en 2016: oublié leur droit à l’éducation, oublié leur droit aux soins pendant la grossesse, oublié leur droit aux infrastructures de base.

Je pense à ces femmes des villes qui n’ont pour faire vivre leur famille que leur rémunération journalière. Je pense à ces femmes qui ont tout perdu le jour où leur père ou leur mari est décédé parce qu’il n’y avait ni frère ni fils pour sécuriser l’héritage. Je pense à ces femmes qui sont battues tous les jours par leur conjoint après avoir subi la violence du père, de la mère et du frère plus tôt dans leur vie. Je pense à ces femmes qui se prostituent à Marrakech pour faire valoir le tourisme du Maroc à l’étranger et nourrir les enfants restés dans les montagnes de l’Atlas. Je pense enfin aux jeunes mères célibataires, victimes d’un amour trahi, d’une société lâche et d’un État profondément injuste, et qui subissent encore la même répudiation que Hajar et Ismael aux temps des prophètes et des livres sacrés.

Chacune d’entre nous a fait l’expérience de cette inégalité d’un autre âge, hier et aujourd’hui, et craint les conséquences pour demain. Car, si nous ne sommes pas toutes grand-mère ou mère, nous portons en nous la possibilité de la vie, et si certaines ne s’inquiètent pas pour leur propre avenir, elles peuvent comprendre que l’on s’inquiète pour nos filles et nos petites-filles.

Je veux vous raconter l’histoire de ma grand-mère, Lalla Zineb. Elle est née à Moulay Ali Cherif, d’un père juge issu d’une famille d’érudits alaouis. Malheureusement, étant une fille, elle n’a pas eu l’éducation de ses frères et a été mariée à 16 ans à mon grand-père. Huit enfants plus tard, tous des garçons, et toujours à Moulay Ali Cherif, elle n’avait qu’un seul regret: ne pas être allée sur les bancs de l’école. Mon père avait droit chaque matin au même discours: moi aussi, je voudrais mettre mon cartable et aller étudier avec toi. Mon père et ses frères n’avaient donc plus le choix, ils devaient réussir leurs études.

Cette histoire m’a été racontée petite et je m’imaginais à mon tour, ma grand-mère enfant empêchée d’apprendre. Je l’imaginais plus tard, travaillée par l’injustice qui lui a été infligée par tous, et alors je portais mon cartable et je m’en allais à l’école fière et chanceuse de donner vie à son rêve. Alors, savoir que d’autres petites filles marocaines vivent cette même injustice en 2016 m’est insupportable et doit être insupportable à chacun de nos politiciens et à chacun des acteurs de la vie publique.

Des histoires, il y en a des millions au Maroc, une par femme. Je pourrais raconter celle de mon autre grand-mère, celle de ma mère, de mes tantes, de mes cousines, de mes amies, de ma nourrice et des femmes de ménage que j’ai eu la chance de connaître. Chacune nous rappelle nos forces, notre résilience et notre persévérance mais chaque histoire est aussi celle d’une injustice inacceptable en 2016.

L’année dernière, une sonde s’est déposée sur une comète, dix ans après son lancement. Personne alors, personne ne pourra me convaincre de la complexité et de l’impossibilité pour les Marocains de résoudre le problème des inégalités hommes-femmes. L’état d’urgence et l’union nationale ne devraient pas se limiter aux cas de terrorisme et de coup d’État. Ils devraient considérer tout danger qui menace notre intégrité. Celui-ci est majeur. Je pense que le Maroc devrait déclarer son état d’urgence pour répondre à la situation intolérable dans laquelle se trouve aujourd’hui la majorité de ses femmes et ses enfants.

Il faut éduquer nos femmes et nos filles et vite. Les écoles et les bibliothèques devraient ouvrir, jour et nuit, pour dispenser des programmes avancés d’alphabétisation, d’éducations civique et sexuelle. Qu’elles sachent comment fonctionne la pilule et le préservatif, qu’elles sachent comment se détermine le sexe d’un enfant pour déculpabiliser de ne pouvoir donner naissance à un garçon, qu’elles sachent à quoi sert leur vote et qu’elles sachent que la terre tourne autour du soleil. Les médias devront à leur tour prendre leur responsabilité et présenter des programmes qui éduquent au lieu d’infantiliser et d’asservir.

Il faut, par ailleurs, libérer chaque femme de son tortionnaire, que ce soit son père, son frère, son mari ou son proxénète et vite. Les juges doivent appliquer les lois et juger sévèrement ceux qui ne respectent pas la dignité féminine et des cellules psychologiques doivent d’urgence prendre en charge ces femmes.

Les parlementaires ont, quant à eux, le devoir de changer et de voter les lois nécessaires à la protection et à l’émancipation des femmes, qu’elles puissent disposer de leur corps et avorter, qu’elles puissent vivre avec leur conjoint avant le mariage pour tester la vie à deux avant de s’engager devant la loi, qu’elles puissent épouser un homme étranger non musulman comme le peut l’homme marocain sans conversion, qu’elles puissent hériter la même part que leur frère.

Libérez-nous de nos chaînes, ça vous évitera d’être des tortionnaires. Personne ne veut apparaitre dans l’histoire de ce monde comme le bourreau des esclaves, vous non plus. Nous vous aimons déjà et nous vous aimerons davantage, je vous l’assure.

Enfin, il faut lutter contre la situation économique précaire des femmes. Nous sommes une société entièrement ubérisée et pour cela, nous n’avons pas eu besoin de la révolution numérique. Nos femmes sont autoentrepreneurs quand elles n’accèdent pas au monde du travail salarié. Elles s’occupent du foyer, vendent des gâteaux, gardent des enfants, exercent des métiers d’art comme la couture, font le ménage chez d’autres et souvent font tous ces métiers à la fois. En contrepartie, en réponse à cette flexibilité acceptée pour le moment et qui permet au Maroc de résister malgré les résultats économiques désastreux, il faut sécuriser la situation de ces travailleuses et leur donner accès à des meilleurs services de santé, aux aides de l’État et à des formations pour les sortir de ces activités précaires. Ceci est politique, c’est à cela que sert la politique et c’est à cela que devraient servir les votes à l’assemblée: à améliorer la vie des travailleuses en souffrance.

Si pour cet état d’urgence, les dirigeants ont besoin de nous, nous répondrons présents. Il faut par contre nous présenter des projets clairs et qui fixent un avenir brillant pour nos femmes, celui des hommes n’en sera que meilleur. S’il y a besoin d’une réserve citoyenne, nous serons là. S’il y a besoin de payer plus d’impôts nous serons là, à condition d’une transparence sans pareil, digne des pays nordiques. Plus que jamais, nous avons besoin d’une révolution de la politique et de la société.

Les intellectuels, les femmes et hommes de la société civile doivent pourvoir parler d’une seule voix pour nous montrer le chemin à parcourir. Les femmes qui ont la chance d’avoir des pères et des conjoints solidaires et celles qui ont eu accès à une éducation de qualité, les femmes qui ont pu voyager et voir d’autres modèles de société, toutes doivent proposer des solutions à celles qui ne voient pas comment s’en sortir. Nous pouvons influer sur notre sort, la fatalité est réservée aux tragédies grecques. Nos hommes nous aiment et peuvent accompagner nos combats mais ne résoudront jamais nos problèmes, c’est à nous et seulement à nous, de le faire.

Pour nos grands-mères, pour nos filles et nos petites-filles, pour celles qui ont permis la réforme de la Moudawana, bâtissons une société inclusive et protectrice, écrivons ensemble une nouvelle page glorieuse et aimante de notre histoire et donnons enfin vie au quart de société manquant.

Lien vers l’article : http://www.huffpostmaghreb.com/hajar-el-hanafi/a-la-femme-libre-enfouie-en-toi-jecris_b_11403654.html

Pardon Wolinski, pardon de n’être pas plus courageuse

wolinski

« Les femmes sont injustement traitées sur notre planète. Elles sont mutilées, asservies, considérées comme des pondeuses et des bêtes de somme. » Wolinski.

Voilà qui est assassiné, des hommes qui voulaient la libération des femmes. Je vous le dis, ceci une guerre pour libérer les femmes.

Malala qui voulait aller à l’école au Pakistan a reçu une balle dans la tête avant de devenir prix Nobel de la paix, des kalashnikov ont retiré la vie à 17 personnes dont 4 défenseurs de nos libertés, une petite fille de 10 ans au Nigeria a été envoyée à la mort dans un marché hier une ceinture d’explosive autour de la taille.

L’islam politique est un danger, il est aussi dangereux que le fachisme. Regardez l’Arabie Saoudite, l’Iran, les Emirats, le Pakistan, l’Afghanistan. La situation de leur femme ne vous fait donc rien. Qu’une femme ait un grillage de tissu devant le visage vous semble-t-il légitime ? Qu’une femme soit interdite de conduire et soit fouettée pour avoir désobéi en Arabie Saoudite, cela vous parait-il juste? Qu’une femme soit interdite d’un match de volleyball et qu’elle écope d’un an de prison en Iran pour l’avoir réclamé, vous trouvez cela justifié?

Regardez les marocains apeurés lors de la prise du pouvoir par Benkirane, combien de femmes ministres y avait-il à l’investiture. Une. Quel ministère ? Celui de la condition de la femme. Quelle était sa position sur la loi permettant le mariage d’une fille violée avec son agresseur ? Elle trouvait que c’était la moins pire des solutions avant de céder à la pression de l’opinion publique.

Regardez les prises de position d’Erdogan en Turquie, petit à petit il rappelle aux femmes leur rôle : tenir leur foyer. Il rappelle que la femme doit savoir se tenir et éviter les éclats de rire en public. Ma professeur d’arabe en 4ème défendait la même idée pendant les cours d’éducation islamique. Cela me rappelle que l’islam enseigné à l’école marocaine mérite une réforme urgente. Le rire, cette liberté fondamentale et profondément humaine qui nous est retirée partout où l’islam politique est.

Femmes arabes qui vous dites musulmanes et libres, levez vous pour celles que vous pouvez appeler vos soeurs, prenez vos claviers et vos stylos, écrivez, dessinez, soyez courageuses. Un peuple sans courage, un peuple soumis ne peut être sauvé de son tyran. Il en est de même pour les femmes arabes et musulmanes. Du courage !

http://www.deslettres.fr/lettre-de-wolinski-sa-femme-je-crois-que-tout-ce-que-les-hommes-font-de-bien-ils-le-font-pour-essayer-depater-leurs-femmes-heureusement-quelles-existent/

Article publié sur Facebook le 12/01/2015.

Sauver une femme ou condamner un enfant?

Le professeur Chraïbi est, était chef de service à la maternité des Orangers à Rabat et militant contre l’avortement clandestin.

Il a été démis de ses fonctions par le ministère marocain de la santé pour avoir participé à la réalisation de ce reportage de la chaîne publique française sur l’avortement puni par la loi au Maroc.

J’ai bien regardé le reportage. 31 minutes pour peindre des portraits de femmes détruites et d’ailleurs jamais construites. 31 minutes insuffisantes à expliquer les vices de notre société totalement schizophrène et qui se veut moraliste.

Après ce reportage, je suis d’accord, il faut des démissions et des poursuites en justice des :
– ministre de la santé pour non assistance à personne en danger
– ministre de l’éducation pour mise en danger de la vie d’autrui
– ministre de la justice pour complicité de meurtres
– directeurs des chaînes marocaines publiques pour vol de l’argent public

Je n’aime pas la morale. Je suis une personne amorale. J’y préfère l’éthique qui voudrait que l’argent des marocains construise des hôpitaux au lieu de reposer en Suisse. Sinon, pour ce qui est des vagins et des pénis, je préconise l’enseignement dans les écoles de la libre jouissance protégée.

Le Maroc, son soleil, sa chaleur, sa mer, son océan, ses paysages… pour le reste on verra un autre jour.

Article publié sur Facebook le 11/02/2015.