Femmes ! Vie ! Liberté !

Il y a trente ans, ma mère me donna la vie mais dût se résigner quand mon père choisit mon prénom. Je m’appellerais Hajar et c’est ainsi qu’il me transmettait son lègue, une ode à la liberté. Il me répétait dès mon plus jeune âge l’histoire de cette jeune esclave, mariée au roi et prophète Abraham avant d’être abandonnée dans le désert avec son nourrisson. Les musulmans se remémorent son calvaire à l’occasion de leur pèlerinage à la Mecque, lorsque désespérée elle recherchait de l’aide pour sauver son fils d’une mort certaine. Elle était esclave mais elle devint libre au moment même de sa répudiation. Nous pouvons naitre libre ou esclave, gagner notre liberté ou se la voir délivrer, ou encore accepter de porter des chaines et croire que c’est cela, la liberté.

Avec mes parents, nous mangions un couscous régulièrement à l’association Solidarité Féminine. Les mères célibataires et leurs enfants officiellement « bâtards » du royaume chérifien, y trouvaient un refuge et un travail. Elles étaient cuisinières et serveuses et nous offraient l’un des meilleurs couscous de Casablanca. Elles étaient fières et debout dans une société parfois si lâche. Madame Ech-Chenna, fondatrice de l’association, ainsi que ses nombreux bénévoles faisaient figure d’Ange Gabriel, s’opposant à l’injustice et se mettant du côté du plus faible. Au moment-même où j’écrivais ces lignes, j’apprenais que cette grande dame, lumière de notre siècle s’était éteinte et nous laissaient orphelines. Qui pour poursuivre son combat ? Qui pour mettre fin à ce traitement abjecte des mères célibataires et de leurs enfants ? Des écoles ou des hôpitaux porteraient-ils son nom ? Des lois, peut-être ?

Mon père ironisait. Tous ces croyants monothéistes célébrant avec ferveur des mères célibataires. Des féministes qui s’ignoraient. Deux femmes, Marie et Hajar, qui n’avaient craint personne, qui avaient tenu par conviction ou par instinct de survie et qui feraient la légende des hommes. Avec un tel prénom, mon père me donnait le La : Pour être femme, nul besoin d’homme. Tu seras libre ma fille. La liberté étant tout sauf légèreté. Elle incombe une responsabilité et est source de nombreuses déceptions et désillusions. Elle commence par le libre-arbitre et la volonté de questionner ce qui est établi. Elle s’exerce lorsque le non est exprimé. Antigone, l’héroïne grecque tragique par excellence s’exclamait : « Je crie non, rien que non, rien d’autre n’est utile. Non, seul suffit. ». La liberté se poursuit par la résistance. Le reste ne sont que péripéties et chutes dramatiques car il ne faut pas s’y méprendre, la fin est rarement heureuse.

Le libre-arbitre se construit parfois à l’école des tables et des crayons, souvent à l’école de la vie. Je me souviens d’un documentaire sublime « Iran, le chant de la bergère » où Firouzeh, femme de 82 ans, autonome et indépendante, nous racontait son attachement à ses vaches et comme elle refusait de rejoindre ses enfants à la ville. Elle préférait la vie solitaire dans ses pâturages à une mort entourée et puis elle jurait loyauté à ses vaches. Ce film était pour moi une leçon de liberté, d’humilité et d’amour. Pourtant, Firouzeh n’était jamais allée à l’école. Elle ne savait ni écrire ni lire mais elle en savait beaucoup sur la vie. Elle était analphabète et sage et j’apprenais d’elle bien plus que d’un quelconque philosophe illisible.

Le libre-arbitre exige un temps d’observation, de macération des valeurs transmises et de construction des convictions au contact du réel, des choix à faire. L’exercice de la liberté requiert de la prudence et de l’intelligence qui nécessite du silence et un pas de côté. Elle réclame de la sagesse quand on la croit l’apanage des jeunes et des esprits fougueux. L’absence de peur et leur certitude d’un succès proche et irréversible constituent certes un fort avantage concurrentiel.

Nous pouvons aussi délibérément choisir de ne pas exercer cette liberté, par peur des répercussions légales, pour ne pas blesser ou être rejeté, par facilité et confort ou parce que l’on juge l’enjeu faible. J’ai personnellement expérimenté chacun de ces cas et je revendique et défend le droit à la faiblesse.

D’autres femmes et hommes ne peuvent se permettre ce luxe et je souhaite les célébrer ici. Leur bravoure nous inspire et grandit l’humanité. Je les aime profondément et je crains pour chacun d’eux car leur vie compte et leur sang est une perte incommensurable pour les civilisations libres, partout, au-delà de toutes les frontières. A vous femmes et hommes iraniens aujourd’hui dans la rue, bravant l’obscurantisme, les mollahs assassins et les balles, je scande à mon tour : « Femmes ! Vie ! Liberté ! ».

Depuis Stockholm, terre du Nobel de la paix, de l’esprit de cohésion et de consensus, je souhaite faire ce pas de côté pour raconter mon expérience de la liberté et penser ce qu’elle pourrait signifier pour une femme de notre siècle. Je m’en vais me rappeler dans les articles à venir ces quelques femmes et hommes qui me donnent le goût de la liberté.

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