Ma génération, entre colère et espoir

J’ai écrit quelques articles dans des blogs de médias web marocains, avant qu’ils ne ferment les uns après les autres. La logique du marché est implacable : peu de clics, peu de pub, trop peu de revenus, fermeture. Je m’y indignais des injustices qui gangrènent le pays et je me concentrais sur trois sujets qui me touchaient personnellement : l’inégalité homme-femme, le système d´instruction publique défaillant et l’intolérance religieuse. Trois thématiques fortement liées. La religion soumet la femme à l’ordre patriarcal, qui se retrouve alors démunie si elle n’a de surcroit pas accès à la connaissance. Les talibans ne s’y trompent pas quand ils interdisent l’instruction aux petites filles. A l’âge de onze ans, Malala en a fait son combat, poussée, accompagnée et soutenue par son père, quand ces mêmes talibans tentèrent de fermer les écoles dans sa région, au Pakistan. Elle le paya d’une balle dans la tête puis dût quitter son pays pour trouver refuge en Angleterre d’où elle continua sa lutte. Elle dira : « Je n’avais que deux options. La première était de me taire et attendre d’être tuée, la deuxième était de parler haut et fort et me faire tuer. J’ai choisi la seconde option.» Il y a définitivement un mystique du monde qui mérite célébration et poésie mais qui ne justifie aucune soumission au dogme.

Ma plume s’est particulièrement aiguisée à la suite d’un événement majeur : les attentats du 13 novembre qui avaient suivi ceux de Charlie Hebdo. Je vivais à l’époque à Paris dans le 12ème arrondissement rue de Bercy et travaillais dans le 11ème , rue de La Pierre Levée, à quelques pas du Bataclan. Je soupçonnais les mécanismes complexes qui avaient conduit à ce choc. Je suis de la génération du 11 septembre. J’avais alors dix ans, un âge auquel on initie sa propre chronologie de la grande Histoire. J’y ajoutais donc la guerre d’Afghanistan puis en 2003 celle d’Irak. S’ensuivra la crise financière de 2008 puis en 2011 les printemps arabes que j’espérais fleuris avant qu’ils n’aboutissent aux guerres du Yemen et de la Syrie. Pendant ces vingt années, nous avons aussi constaté l’enrichissement des pays du Golf par liasses de pétrodollars et leur propagande salafiste agressive sur les chaines numériques et plus tard sur internet. La jeunesse Arabe, qu’elle soit occidentalisée, nationaliste ou islamiste, a sa propre lecture de ces enchainements historiques, une injustice et un gâchis au goût amer. Je m’étonnais et je m’alarmais dès 2011 de voir les étudiants Français au sein de mon école se désintéresser de ce qui se produisait sur l’autre rive de la Méditerranée, ni concernés ni enthousiastes ni même inquiétés. Pourtant le monde est fait de vases communiquant, et nous préférons tous faire mine de l’oublier. Si la Méditerranée transporte les marchandises et les peuples, elle ne peut faire barrages aux conflits et aux guerres. Finalement, j’avais cette sensation d’une histoire sans fin, qui n’aboutissait à rien de juste ou de meilleur. Nous vivons aujourd’hui les répercussions de la guerre froide et des guerres de décolonisation, le résultat des coups d’états en Afrique, des assassinats de tiers-mondistes, de la guerre du Vietnam, du soutien de la CIA à Pinochet contre Allende, de Khomeyni qui trahit les communistes iraniens, de la première guerre du Golf, de la guerre en Yougoslavie et en Tchétchénie et de la chute du mur de Berlin.

Malgré cette lecture géopolitique et une certaine compréhension de la séquence, il m’était tout de même insoutenable de voir le pays des Lumières attaqué, sa paix mise en péril. Je n’avais rien compris, je n’avais pas saisi que la menace islamiste était déjà là, parmi nous en France. Je n’avais pas réalisé qu’une bombe lâchée en Libye ou en Syrie mettait Paris en avant du front. Je n’avais pas compris non plus à quel point les nouvelles générations Arabes et Africaines rejetaient l’Occident dont l’ancien colon Francais et l’accusaient de tous les maux. Je faisais une lecture subjective de l’histoire. Mon adoration pour la littérature française, son histoire et son peuple m’empêchait et m’empêche toujours de partager ce même sentiment. L’éducation de qualité que j’ai reçue au Lycée Français de Casablanca puis à l’INSA de Lyon me laisse reconnaissante même si cela ne m’empêche pas de critiquer un certain aveuglement français.

Je me souviens de l’avant-première parisienne de Demain, un documentaire écologique optimiste qui s’intéressait à des initiatives à impact positif, dans les domaines énergétiques, économiques, éducatifs… Le ministre des Affaires Étrangères Laurent Fabius était dans la salle. Ce devait être quelques jours avant les événements du Bataclan. J’étais restée sur ma faim, frustrée. Je pris alors le micro et posai ma question. Je mettais en doute la possibilité de penser la question écologique hors du contexte géopolitique. Je citais l’Arabie Saoudite qui se gavait de pétrodollars et polluait l’esprit de toute une jeunesse. Mélanie Laurent ne comprenait pas où je voulais en venir. Cyril Dion nuança sa réponse et le ministre s’apprêtait à partir. Comment parler écologie sans changer le paradigme occidental néo-libéral ? Sans revoir la liste des alliées ? Sans parler argent et besoins énergétiques ? Sans discuter de l’immigration et du développement de l’Afrique ? L’éolienne, à elle-seule, même soutenue par des monnaies locales ne suffira à rien. Le documentaire n’était pas mauvais mais j’attendais définitivement plus d’un film qui serait plus tard visionné à la COP 21, plusieurs fois à l’ONU et ailleurs. J’attendais beaucoup plus des décideurs et des intellectuels. Plus qu’une approche par initiative, je recherchais des raisonnements et des réponses systémiques avec une vision à long terme de la préservation de notre environnement, dans lequel je nous inclus, avec nos cultures et nos valeurs.

Mon esprit s’éclaira aussi sur la question féminine après une histoire personelle qui me permit de placer le curseur sur mes envies. Je recherchais depuis un partenaire qui me mette sur un pied d’égalité plutôt que sur un piédestal. Je ne voulais pas être ce lustre de salon que décrivait un ancien premier ministre marocain, ni cette chose précieuse à protéger ou ce corps maternel qui nourrit d’amour et de lait frais. Je voulais aimer et être aimée entièrement dans toute ma dimension humaine et citoyenne. Cet échec amoureux était la petite histoire qui m’éclairait sur la grande. Dans les sociétés patriarcales, les femmes n’étaient pas les seules victimes. Les hommes souffraient aussi de cette impératif à préserver les traditions et protéger les femmes d’elles-mêmes. La société entière empêche de tout son poids les réformes nécessaires. Les parents donnent du leste avant de tirer de nouveau sur la corde pour rappeler la jeune génération à l’ordre.  Les mères sont aux aguets. La liberté doit rester un fantasme.

Je décidais pour ma part de mettre tout cela derrière moi. D’abord, quand je rencontrais un francais qui m’inspirerait des poèmes heureux. Et ensuite quand je devenais française à mon tour, par une naturalisation plus que désirée. Je rangeais alors mes anciennes peines, mes frustrations et ma plume et j’embrassais mes nouveaux droits avec exaltation. Cependant, je ne savais pas à ce moment-là que jamais je ne trouverai une paix intérieure car ailleurs, je serai toujours considérée comme la moitié d’un homme. Aujourd’hui, quatre and plus tard, voilà que je jubile devant les vidéos de ces femmes iraniennes libres qui dansent et chantent courageusement, cheveux au vent dans les rues de Téhéran et que rien ne me rend plus heureuse. Et même si je crains pour leur vie, comme disait Churchill, je pense aussi que « Mieux vaut périr au combat que d’affronter le spectacle de l’outrage ».

À chaque soubresaut de l’histoire, ma colère se ranime et mon espoir se ravive par la puissance des femmes et hommes libres qui me rendent le monde plus beau et la vie digne d’être vécue. Ainsi va ma vie et peut-être la vôtre …

Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s