Archives du mot-clé pluie
Le bonheur
Avez-vous jamais discuté le bonheur avec vos parents ? On nous apprend tout, à traverser la route, à compter jusqu’à 100 et à dire merci. On nous explique ce qu’est une vie digne et on nous éduque pour quelques uns à l’excellence, être le premier de la classe, résoudre une équation différentielle et analyser un texte de Maupassant. Enfin, on nous souhaite de reconstruire ce même modèle, donner la vie et être un bon chef de famille sans oublier d’être utile à la société. Mais qu’en est-il du bonheur ? Vous l’avez rencontré un jour ? Vous avez son adresse mail, son Snapchat, son Tinder ou son profil Linkedin ? J’ai besoin de lui poser deux ou trois questions.
Je crois l’avoir aperçu parfois. Vous voyez comme un amant qui apparaît quelques jours avant de se volatiliser, pouf!, pour quelques mois. Alors je me donne des objectifs, les plus ambitieux bien sûr. Je travaille dur pour les atteindre en pensant que cela le fera revenir pour toujours. Vœu pieu ou indécent pour mes 24 ans !
La dernière fois, c’était à la fin de mes études. J’avais enfin mon studio à Paris et je me préparais à rentrer dans le rang, à La Défense. Je lisais Cosmos d’Onfray sur mon lit couvert d’un drap blanc. Il me racontait le temps, le temps mort et le contre-temps. « Désormais, je peins tous les jours. » aurait dit Gauguin en quittant travail, femme et enfants pour se consacrer à sa passion. J’arrêtais de lire pour regarder les toits de Paris de ma baie vitrée et je vis le ciel sans nuage un jour de février. Je croyais voler. J’avais compris le temps et je m’abandonnais soudainement à l’instant présent. J’étais heureuse.
En fouillant dans les tréfonds de ma mémoire, je vois ma mère assise dans la salle à manger de l’ancien appartement tout juste réaménagé à son goût. En face, se trouvait mon père assis sur le fauteuil en cordes tressées dans notre terrasse qui n’avait rien à envier aux jungles les plus luxuriantes du Cambodge. C’était à Casablanca, ma mère dessinait au fusain et mon père mangeait sa grappe de raisins verts dans son paradis terrestre comme il aimait à dire. Les murs étaient jaune moucheté, les affaires marchaient bien, leur amour avait résisté à bien des tempêtes et leur fille unique de 9 ans les aimaient d’un amour infini. Ce devait être le bonheur. En tout cas, cela y ressemblait beaucoup.
Je me souviens aussi de cette fois en Finlande. Nous étions quatre amis à faire le tour d’Europe en voiture pendant 6 semaines. Un moine chez qui nous avions séjourné une nuit était déçu d’apprendre que nous n’étions pas à vélo. Il a ri ! L’aventure n’est jamais complète et quelqu’un sera toujours là pour vous le rappeler. Donc, en Finlande, nous installâmes notre camp de nuit en pleine forêt, près d’une immense fourmilière. D’une façon ou d’une autre, les fourmis rouges nous rassuraient. Après avoir mangé notre riz et nos haricots rouges, la nuit tombée, il était temps de dormir. Je refermais derrière moi ma tente Quechua 1 seconde quand il commença à pleuvoir. J’étais protégée de la pluie par ma carapace rouge, mais je l’entendais et je la voyais. J’entendais la musique de ses gouttes qui se déversaient sur nous, un son qui ferait frémir le plus grand des musiciens. Je voyais chacune d’entre elles couler lentement en suivant la courbure de la Quechua. C’était régulier, doux et violent. C’était beau. Je dormais heureuse.
Une autre fois, j’étais amoureuse. Nous étions les yeux dans le coeur, les yeux dans les yeux puis les yeux dans la bouche. Pour la première fois, j’expérimentais le magnétisme hors des laboratoires de physique. Nos bouches s’engagèrent alors dans des abîmes non convenus pour une jeune fille rangée. Mais l’ai-je jamais été, rangée ? Euphorique, je pensais tenir le bonheur.
Plus tard, j’étais en Inde dans les montages de Munar, avec un groupe d’étudiants d’échange de l’IIT Madras. Ce jour-là, j’ai pensé fort à mon père. Sur le chemin du retour du lycée, souvent il arrêtait la conversation pour que l’on admire ensemble un coucher de soleil. Un homme intelligent, mon père. Il me disait de bien observer l’orange intense qui annonce sa disparition prochaine à l’orée visible de l’océan. Je ne le savais pas mais il m’enseignait le bonheur. Alors ce jour-là, j’ai pensé à lui lorsque nous marchions entre les cultures de thé en attendant le coucher du soleil. Comme j’aurai aimé qu’il soit là pour voir ce jaune embrasé, cet orange brûlant, ce vert soutenu des arbres, le ciel d’abord lourd puis noir, les étoiles qui brillent et les lucioles qui illuminaient les sentiers. Heureuse, nul doute, je l’étais.
Avant d’écrire ce texte, j’ai vu un film, Hector and The Search Of Happiness. Le titre présumait l’histoire, celle d’un homme banal et cérébral qui fait le tour du monde pour découvrir que bonheur et amour ne font qu’un. Pour ma part, je découvre que le bonheur est souvent contemplatif ce qui explique peut-être qu’il soit si difficile à saisir pour nous femmes et hommes d’action. Mais aujourd’hui, je sais qu’il était là et je sais qu’il reviendra, c’est un gage suffisant pour être heureux, non ?